Prospective.fr – Octobre 2015 – Edito
En guise d’hommage à Guy Béart …

Depuis des années, des millions de personnes font quotidiennement l’expérience (et les frais) de la dégradation constante des conditions de déplacement dans Paris, tous modes de transport réunis.

Qui saura dire la complainte des banlieusards bloqués des heures durant à la périphérie ou dans les trains franciliens ? Qui décrira le gel de la mobilité autour des gares aux heures de grand trafic, les épreuves de la circulation et du stationnement, la dépendance de toute la population vis-à-vis de quelques corporations (le personnel de la RATP, de la SNCF, les taxis, sans parler de l’assiduité des contractuels qui dressent des contraventions) ? Qui rendra compte de la révolte que soulève l’arbitraire du blocage de quartiers entiers au hasard du passage d’un hiérarque étranger ? Et qui remarquera à quel point Paris devient en même temps un musée et une ville pauvre (les statisticiens seront bien obligés de l’avouer un jour) ?

Que des édiles et des gestionnaires publics croient bien faire en mettant en œuvre des politiques dont ces images témoignent des conséquences, c’est une chose ! Leurs arguments sont le développement durable, l’amélioration de la performance environnementale, la diminution de toutes les formes de pollution… Ces objectifs sont très généralement partagés. Mais la maladresse de leurs modalités de mise en œuvre impressionne, notamment par les effets pervers qu’elles génèrent.

Tout indique que Paris a renoncé à la création de valeur. Quelle autre explication à l’exil volontaire en banlieue que des entreprises, désormais des administrations elles-mêmes, ont choisi ? A l’aspiration de 80% des cadres parisiens à partir en province ou à l’étranger (une enquête récente l’a confirmé). A l’atonie économique au moment où Londres, la voisine et concurrente proche, redevient la première place financière mondiale et vibre de création de richesses …? Des signes récents indiquent que la réalité commence à être enfin perçue, avec l’encouragement municipal aux incubateurs de start-up, le soutien au projet d’Exposition Universelle, la fin du tabou sur les immeubles de grande hauteur, la vente enfin envisagée d’une partie du patrimoine immobilier inutilisé de la Ville ?

Contrairement à ce qu’ils peuvent croire, les édiles et gestionnaires ne sont pas seuls responsables de l’avenir de Paris. Sans parler des électeurs, les générations à venir ont aussi leur mot à dire. Que restera-t-il de l’identité profonde de Paris quand bientôt le Grand Paris débordera les frontières des questions administratives et des investissements pour devenir une entité politique de plein exercice, dont Paris ne représentera qu’à peine un cinquième de la population ? Comment prétendre viser l’intégration des modes de transport alors que le juge est appelé à la rescousse dès que quelque chose bouge ? Quand Paris devra-t-il plaider sa cause pour continuer à faire partie du réseau très sélectif des villes-monde ?

Guy Béart opposait ce qu’on fait au nom des grands principes (la raison) et ce qu’on fait en vertu des grands sentiments (le plaisir). Paris est gouvernée par les bons sentiments. Peut-on espérer que le principe de réalité soit enfin reconnu ?

Armand Braun

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