Prospective.fr – août 2018 – Edito
Un poisson, des abeilles et un canard

À l’heure où l’on discute une loi sur les fausses informations – que les journaux appellent fake news en bon français – voici deux illustrations vécues, mais sans conséquences.

Un dimanche matin, nous allions, comme à notre habitude, faire quelques emplettes au marché. Oui, mais voilà, quelques politiques du coin – un ancien bien installé, soutenant un nouveau qui cherchait des voix – étaient venus inaugurer un nouveau stand « bio ».

Désireux de les éviter, nous arrivâmes à la première heure. Déjà l’agitation régnait. Ayant repéré, devant à droite, une troupe serrée surmontée de micros sur perches, nous fonçâmes au fond à gauche, là où officiait Éric, notre poissonnier favori. Mon tour vint vite et je lui demandai quelques dos de cabillaud. Alors qu’il s’apprêtait à les peser, surgit la troupe. Le jeune politicien en veine de publicité me prit la main par surprise, la secoua ostensiblement sous les flashs et se tourna vers le poissonnier pour un échange de propos légers. Puis ils s’en furent. Éric reprit ma commande en s’excusant. Même mésaventure chez le maraîcher, avec Armand sur la photo cette fois.

Aucun de ceux qui mendiaient l’attention ne l’obtint, seulement nous, qui ne la cherchions pas.

Le mercredi suivant, Le Canard enchainé consacrait un encadré à cet « événement ». Avec quelques précisions pittoresques et, faut-il le préciser, tout à fait inexactes : le vieux politicien aurait acheté un dos de cabillaud au marché. À la journaliste de Libération qui lui demandait s’il n’achetait pas aussi du poisson, le jouvenceau aurait répondu : « Non, ma compagne a déjà fait les courses ».

Je ne m’étonnai guère. Ce n’est pas parce que c’est imprimé que c’est exact. La relation entre les écrits qui nous sont soumis et la réalité est ce qu’elle est, comme chacun sait.

En ce qui me concerne, je le sais depuis l’âge de dix ans. J’habitais en pleine ville, sur une place, dans le vieux Lille. Un jeudi matin (le jour sans école qui précéda le mercredi), j’entendis comme un fort et continu ronronnement de moteur dans la rue. J’allai à la fenêtre et vis, en face, sur le pan coupé d’un immeuble qui faisait le coin, à peu près à hauteur d’homme, posé contre la pierre noire de suie, un nuage clair, agité et bourdonnant. De quoi pouvait-il s’agir ? « C’est un essaim d’abeilles », m’expliqua mon père, qui avait été élevé à la campagne.

Fascinée, la petite citadine que j’étais passa toute la journée à la fenêtre. À 17 heures précises eut lieu le clou du spectacle : un apiculteur en grande tenue, masqué et tout de blanc vêtu. Il attrapa adroitement l’essaim avec une sorte de grand filet à papillons, l’enferma dans une boîte et s’en fut.

Le lendemain, un entrefilet dans La Voix du Nord relatait le fait-divers. Je me souviens mot pour mot de la dernière phrase : « Vers le soir, les petites bêtes s’étant bien reposées reprirent leur envol ».

Au fait, le stand bio du marché a disparu depuis et les personnalités autour desquels se précipitaient badauds et courtisans partagent avec nous tous, chers lecteurs, un bienheureux anonymat.

Hélène Braun

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