Prospective.fr – avril 2018 – Edito
Le Ministère de la Solitude

Theresa May, Premier ministre du Royaume Uni, a créé au début de cette année un ministère de la Solitude. Son objet : aider les neuf millions de personnes isolées, dépourvues de liens sociaux, désemparées que compte la Grande Bretagne.

Passée inaperçue en France, cette décision peut, au premier abord, sembler étrange. Elle est tout à fait pertinente. Elle met en évidence deux phénomènes éclatants et pourtant invisibles : la condition des personnes âgées, l’omniprésence du virtuel.

Nos sociétés sont disloquées par la nouvelle situation des générations : chaque classe d’âge vit sa vie et, hormis les liens familiaux quand ils existent, elles ne se voient plus, ne se connaissent plus. La solitude touche des membres de toutes les générations, mais massivement les personnes âgées. Il y en a tant, confinées dans leur pauvreté, leurs maisons de retraite ou leurs petits appartements, vouées à passer leurs après-midi sur les bancs publics et leurs soirées devant la télévision ! « Qu’est-ce que la solitude ? », plaisante un de nos vieux amis, « c’est quand la télé tombe en panne ».

Leur méconnaissance de l’outil informatique prive beaucoup d’entre elles de l’accès à l’information et à la communication, en principe des droits constitutionnels. L’ennui, l’anxiété, le sentiment d’inutilité et l’amertume qui en résulte diminuent la résistance naturelle. Il s’agit donc, entre autres, d’un enjeu majeur de santé publique.

On comptait beaucoup sur les réseaux sociaux pour créer du lien. Pour les jeunes, les actifs, compétents, reliés, mobiles, qui communiquent aussi autrement, c’est un plus qui s’ajoute aux relations existantes. Avec une limite : qui ne connaît dans son entourage des jeunes (ou des moins jeunes), collés devant leurs écrans, étrangers au monde environnant, passant leur temps dans des univers virtuels. Que feront-ils de leur vie ?

On est en droit de penser que la création d’un ministère est une manière baroque de renouveler le débat. Qu’en sera-t-il réellement ? Le ministère de la Solitude peut n’avoir vocation qu’à être l’élégant emballage d’une réorganisation administrative et d’une extension du domaine de la bureaucratie. Si tel était le cas, il susciterait forcément la comparaison avec un autre ministère, qui portait lui aussi un joli nom : le ministère de la Vérité de George Orwell dans 1984.

Pour l’heure il faut faire confiance à la nouvelle ministre, Tracey Crouch.

Cette initiative a, de toute manière, un vrai mérite : elle met en lumière des questions essentielles et que nous éludons parce que nous ne savons pas les traiter.

Armand Braun

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