Des ours et des hommes
Qui n’a souhaité au moins une fois, lorsque les jours raccourcissent et que guette la froidure, passer l’hiver sous la couette ? Ce sont des moments où l’on est persuadé de descendre, non du singe, mais de l’ours.
Avant que la nourriture ne vienne à manquer, celui-ci va accumuler des réserves non dans son garde-manger mais dans son corps même. Son poids double en prévision des longs mois de sommeil pendant lesquels il ne s’alimentera pas mais puisera dans ses réserves internes.
La biologie des ours intéresse les chercheurs. Serait-il possible de persuader le corps des personnes en surpoids de puiser dans ses propres réserves comme le fait celui de l’ours ? Mais le surpoids chez l’ours qui n’accumule de graisse que dans ses tissus adipeux, est un mécanisme de survie. C’est une maladie chez l’homme, dont le foie et le cœur s’enrobent de graisse. Le remède miracle contre l’obésité relève pour l’heure, non de la prospective mais de la science-fiction, au même titre que 2001, montrant des astronautes en hibernation artificielle pour un très long voyage interplanétaire.
Pour l’heure, les habitants d’Ashville en Caroline du Nord, aux Etats-Unis, sont directement concernés par la prochaine hibernation des ours. Comme le relate Valerie Bauerlein dans le Wall Street Journal, après des décennies de politique de protection, la population des ours noirs dans la montagne voisine est passée de moins de mille individus à plus de quatre mille. Des centaines d’entre eux se sont aventurés en ville et y installent maintenant leurs tanières.
En quête des 20 000 calories quotidiennes qu’ils accumulent en vue de leur hibernation prochaine (de fin décembre à mars), ils trouvent plus commode de fouiller dans les poubelles et de piller les mangeoires à oiseaux que de chercher des glands dans la forêt. Ils parcourent les rues avant le ramassage des ordures, pénètrent dans les jardins des particuliers… Et la vie urbaine leur réussit : pas de chasseurs, une nourriture facile et abondante. Résultat : ils sont plus gros que leurs congénères campagnards et se reproduisent plus facilement.
Parmi les citadins (les humains, pas les ours), certains, sans doute atteints d’un syndrome qui tient à la fois de Marie-Antoinette et de Walt Disney, se sont pris d’affection pour les plantigrades. Malgré les conseils des autorités qui les mettent en garde et leur enseignent à prendre un minimum de précautions – bien fermer les containers, nettoyer soigneusement les grils des barbecues après chaque usage, attendre le mois de janvier pour installer les mangeoires à oiseaux… – ils ne sont pas toujours conscients du danger. Ils pensent qu’ils vivront toujours en paix avec leurs étranges voisins, donnent des prénoms à ceux qui visitent régulièrement leur cour, en font les acteurs de leur compte Instagram…
Le réchauffement climatique – qui pousse nombre d’espèces à déplacer leurs territoires, à modifier le calendrier de leur reproduction, de leur migration et peut-être de leur hibernation – fait sans doute de cette anecdote un précédent : bien d’autres villes, bien d’autres espèces d’animaux sauvages, dans bien d’autre régions du monde que l’Amérique du Nord. Il sera intéressant d’observer comment cette coexistence, pour le moment souhaitée, va évoluer…
Hélène Braun
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