Prospective.fr – Octobre 2019 – Edito

Prospective : Force et actualité de la démarche prospective

Hausse des températures, sécheresse et inondations, ouragans, disparition des glaciers, extinction d’espèces animales et végétales… : la menace écologique s’aggrave partout. Et il n’est question, à raison, que de disruption, de changement de paradigmes, de métamorphose…

Cette angoisse s’était déjà manifestée en Occident, paraît-il, à l’approche de l’an 1 000. Nos ancêtres auraient (certains le discutent) été convaincus qu’au changement de millénaire adviendrait la fin du monde. Ils s’y préparèrent. Dans l’espoir d’aborder le Jugement dernier avec des circonstances atténuantes, ceux qui avaient quelques biens en firent don à l’Église. Or, il ne se passa rien. L’espoir revint.

Nos aïeux ne pouvaient que s’attendre à subir, ils n’avaient aucune prise sur les évènements qu’ils redoutaient. Nous, par contre, pouvons sans doute agir. Mais comment ?

De nos jours, il faut prendre en compte ensemble le court, le moyen et le long terme. C’est évidemment le court terme qui nous fait problème. En effet, l’opinion publique est mue par les débats du moment. L’esprit du temps, en rupture profonde avec ce qu’il était il y a peu d’années encore, devient sensible aux discours des prophètes de la décroissance et de la collapsologie. On observe, notamment dans les universités et les médias, un retour de l’intolérance, cette fois au nom du développement durable et du souci des générations futures. L’irrationnel resurgit, s’empare de l’opinion publique, des psychoses de masse deviennent possibles. La question est aujourd’hui posée : l’humanité poursuivra-t-elle son mouvement en avant, ne va-t-elle pas, comme si souvent, replonger dans des siècles obscurs ?

Pour tenir le cap, il ne faut pas trop compter sur les États et leurs organisations internationales. Ils sont légitimes, ils font au mieux pour exercer leurs missions. Mais soyons lucides : les États, sur la planète, forment un puzzle dont les pièces ne sont pas toujours compatibles ; leur propension aux chamailleries est au moins égale à leur souci de solidarité ; ils sont tous endettés pour des décennies et croient pouvoir s’endetter encore davantage ; encombrés par leur vieille culture autoritaire et bureaucratique, ils s’imaginent encore pouvoir commander ; ils sont soumis aux aléas de la conjoncture économique, de l’évolution des rapports de forces entre défenseurs des droits acquis et acteurs du mouvement ; ils n’ont ni les moyens techniques ni les relais sur le terrain nécessaires à des initiatives d’envergure ; enfin, l’ubiquité et la puissance dont se flattaient les plus grands leur ont été ravies par les GAFA, auxquels le nombre de leurs utilisateurs confère une autre forme de légitimité.

Nous n’avons pas conscience de notre fragilité, ou nous ne voulons pas savoir. Il est grand temps que nous nous ressaisissions.

Il faut certes envisager les catastrophes possibles, organiser très vite la réduction de notre empreinte carbone… Mais cela ne suffit pas. Il faudrait consacrer autant d’énergie à poursuivre la dynamique féconde de notre monde, rejeter cet étrange et pervers puritanisme qui prône la réduction des activités et obscurcit la perception de l’avenir. Pour engager ces tâches, il nous faudrait inventer les formes de la coopération entre tous. Les États auraient là, eux aussi, les leviers accordés à notre temps qui leur permettraient de retrouver un formidable pouvoir d’action. Tant d’opportunités, tant de chances ! Notre XXIe siècle se placera peut-être sous le signe d’Hercule, tant il y a de tâches à accomplir, tant d’occasions pour, comme aimait à le dire Gaston Berger, « élever le niveau de la civilisation » !

Le changement climatique n’est pas qu’une mauvaise nouvelle. Il nous oblige à prendre conscience du fait que la Terre est une : une société civile mondiale, informelle, informée et interactive. Et si c’était cette société mondiale qui devenait l’opérateur principal des transformations ? Imaginons des « chantiers » : globaux, locaux, par centaines, voire par milliers, dans le monde entier pour, par exemple, ramener à la vie un territoire, village ou région, malade ou à l’abandon, en y inventant des formes nouvelles et durables d’activités. Des concours mondiaux pourraient être organisés. Des personnes ou des groupes parraineraient ces initiatives, à l’aide du crowdfunding ou de Bourses dédiées. L’argent est potentiellement disponible. L’endettement à taux négatif – 16 000 milliards de dollars de titres se traitent désormais sous 0% dans le monde, les délais de remboursement dépassent 30 ans – témoigne de la rareté des occasions sérieuses d’investir. Il est urgent de faire sortir des limbes les nouvelles institutions financières dédiées de la société civile mondiale qui attendent leurs concepteurs et leurs fondateurs. Évidemment, il faudrait, puis, pour la mise en œuvre, faire participer des entreprises, car seules les entreprises disposent en nombre suffisant des compétences nécessaires.

Voilà le genre d’initiative, créative, globale dans l’approche, concrète dans la réalisation, qui illustrerait la véritable démarche prospective. Nous serions enfin loin de la prévision et de l’anticipation, ces exercices dont les circonstances actuelles mettent en lumière la futilité. Car la prospective, c’est concevoir, expérimenter et mettre en œuvre l’avenir tel que nous le rêvons.

Armand Braun

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