Prospective.fr – Janvier 2018 – Edito
Sauver Paris

L’Ile de France urbanisée subit le même phénomène que les autres grands centres du monde : à cause du coût de la vie et du niveau des loyers, de moins en moins de gens ont les moyens d’habiter dans Paris. De nombreux retraités vont s’installer en province et dans des pays voisins comme l’Espagne, le Portugal ou le Maroc, sans pour autant que la vie des autres générations en soit facilitée. Le Airbnb, qui profite à des touristes peu argentés, et l’achat d’appartements de luxe par de riches étrangers qui ne vivent pas sur place font de Paris une autre Venise, une ville vouée au tourisme et qui se vide de ses habitants.

Ces effets visibles dissimulent une réalité encore plus grave : les activités quittent Paris intramuros pour la périphérie. Il suffit de se promener dans les rues pour s’en rendre compte : sauf dans le secteur du luxe, nombreux sont les commerces qui souffrent, ferment ou déménagent en banlieue. La création à Aubervilliers du Centre international France-Asie, regroupant un millier de grossistes chinois précédemment installés dans les 2ème et 11ème arrondissements, en est l’illustration la plus récente. C’est dans la périphérie que s’installent désormais les entreprises innovantes, le personnel détenteur de compétences rares, les principales institutions financières et bientôt ceux des rescapés du Brexit qui auront choisi la France. Les administrations et les institutions éducatives sortent de Paris. Expression et symbole de ce mouvement : le déménagement prochain du siège de la Région Ile de France.

Tout se passe comme si la périphérie devenait un cyclone de création de valeur ajoutée, un cyclone dont Paris intramuros serait l’œil. Les zones défavorisées et les poches communautaristes de la périphérie sont toujours là, mais les jeunes qui y habitent bénéficient des emplois nouveaux. Par contre, nous sommes témoins (même lorsque nous ne souhaitons pas voir) de la mise en place d’une ceinture de bidonvilles, présence du tiers-monde à nos portes, contre laquelle le tourbillon de création de valeur constitue une sorte de barrière.

Si j’ai raison, prenons la mesure de ce qui se passe : depuis Lutèce, la capitale s’était développée par cercles concentriques ; ce processus se serait arrêté. Et alors, il s’agirait bien d’un phénomène historique, dont nous serions les témoins.

Le rayonnement intellectuel et culturel de Paris est en compétition avec celui d’autres villes dans le monde. Certes le paysage urbain chargé d’Histoire, avec sa splendeur, ses monuments, son prestige, demeure un formidable attracteur pour les touristes. Mais devenir une destination essentiellement touristique,  est-ce un avenir convenable pour Paris ? Les Jeux Olympiques de 2024 et l’Exposition universelle de 2025 devraient mettre en évidence ce découplage : d’un côté, à Paris, la marque, la communication, les hôtels, les restaurants, les loisirs ; tout le reste, c’est-à-dire l’essentiel, tout autour.

Sauver Paris représente un enjeu national de première ampleur. Il y a urgence. Bien au-delà des réformes administratives en préparation dans la petite couronne, c’est l’ensemble de l’Ile-de-France urbanisée qui est concerné. La problématique est difficile, nous avons besoin de tout repenser. En leur temps, Philippe Auguste, Henri IV et Haussmann ont réussi des chantiers dont l’audace et l’ampleur pourraient nous inspirer. Mais leurs réalisations se situaient à l’intérieur de la seule zone intramuros. De nos jours aussi, la préparation de l’avenir de Paris et de sa région doit être l’affaire de l’État.

Dans cette perspective, une proposition qui pourrait être à effet immédiat : reconnaître que tous les habitants de l’Ile-de-France urbanisée sont des Parisiens. À l’étranger et en province, les habitants d’Ile-de-France se présentent comme tels, même s’ils habitent à 50 km de Paris. Et ils ont raison. Il serait grand temps que la bureaucratie se mette au diapason.

Et une proposition de long terme : dans le domaine du transport, remplacer les références passées par la référence de l’avenir. Le métro du Grand Paris, actuellement en construction, est une excellente initiative, c’est ce qu’il fallait faire, ses lignes seront demain les artères vitales de la métropole. Mais il s’agit de la mise en œuvre actualisée d’un concept datant de la fin du XIXe siècle, celui-là même qui a inspiré la création du métro parisien à partir de l’année 1900. Pourquoi pas un hyperloop comme une dizaine au moins de métropoles de par le monde sont en train d’en construire dans la perspective de la deuxième moitié du siècle ?

Armand Braun

Print Friendly, PDF & Email