Prospective.fr – Juillet 2017 – Edito
Des arganiers, des femmes et de l’esprit d’entreprise…

Taroudant, Maroc. La présidente de cette coopérative féminine porte la tenue traditionnelle des femmes marocaines. A l’étage du bâtiment, une vingtaine de femmes concassent les noix d’où sera tirée la célèbre huile d’argan. Les arganiers, qui poussent à perte de vue, représentent l’essentiel des ressources de cette plaine brûlante du Souss.

Voici vingt ans, la présidente ne savait ni lire ni écrire ; elle ne parlait que le tamazight, la langue du pays. Et donc, un jour, elle entend son mari discuter avec un agent de développement rural. Elle prend contact avec lui ; c’est ainsi que naît l’idée de la coopérative. Elle provoque une réunion, et ça marche. D’autres coopératives de femmes se créent aux alentours. Aujourd’hui, elles commercialisent leurs produits par le moyen d’un GIE, ce qui permet d’en obtenir un meilleur prix en évitant les intermédiaires inutiles. Quant à celle qui est à l’origine du mouvement, elle préside aujourd’hui un réseau international de coopératives agricoles et siège au parlement. Itinéraire exemplaire d’une femme sobre en paroles mais dont l’éclat du regard traduit toute la force d’âme.

Avant, l’épouse concassait chez elle quelques noix et l’huile qui en était extraite était vendue à vil prix par le mari, qui gardait l’argent pour lui. Aujourd’hui c’est à elle que la coopérative remet le prix de sa  production. Donc, elle a de l’argent. Cet argent, il va notamment lui permettre d’envoyer ses enfants à l’école. Et de se faire respecter. Témoignage : « depuis que je suis à la coopérative, mon mari ne me bat plus ».

Avec mes hôtes de l’université d’Agadir, je réfléchis à la portée de ce qu’ils nous ont présenté : c’est la reconstruction, par le bas, à la fois d’une économie viable et d’un tissu social plus riche. La création de valeur échappe désormais aux réseaux d’intermédiaires pour revenir, pour la plus grande part, aux producteurs. Un label, difficile à obtenir, garantit la qualité. Le GIE donne la possibilité de répondre à des commandes correspondant à des volumes importants, qui excèderaient la capacité de chacune des unités de production. L’économie de la région, autrefois misérable, renaît autour d’une filière correspondant à une production traditionnelle, mais qui fait désormais appel à des techniques modernes respectant un cahier de charges exigeant en matière sanitaire. Les doctorants de l’université sont heureux car ils ont de beaux « terrains » à analyser.

En même temps, le tissu social s’est enrichi. La femme est respectée du mari. Les deux filles de la présidente suivent un enseignement universitaire tout en donnant un coup de main à leur mère en tenant la petite boutique qui jouxte l’atelier de raffinage. Du coup, les hommes aussi se sont mis de la partie. Des coopératives mellifères sont en train de voir le jour, selon le même principe. L’une d’entre elle en profite pour y joindre un restaurant à l’intention des touristes. Des relations entre coopérateurs se nouent au plan international.

Et si c’était l’avenir ? Bien entendu, on ne peut guère envisager de coopératives de production de voitures automobiles ou d’extraction de pétrole. Mais à côté, il y a la production de produits alimentaires et artisanaux. On parle de « circuits courts », « de la fourche à la fourchette ». On parle d’économie circulaire, de travail coopératif, de développement des liens de proximité, de valorisation des territoires. L’esprit d’entreprise, ce n’est pas seulement la hig tech et les multinationales. C’est aussi et peut-être d’abord, comme le soutenait devant moi un ancien ministre marocain qui fut aussi directeur général d’une business school, la marchande d’oranges assise sur la place Jemaa el Fna et qui doit absolument vendre son stock pour donner à manger ce soir à ses enfants.

Imiter les coopératives de femmes du Souss, non, mais s’inspirer de leur exemple pour réinventer nos économies devenues poussives, oui.

Hubert Landier

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