Prospective.fr – Mars 2019 – Edito

Prospective du tourisme : trop c’est trop ?

Des 7 milliards d’humains sur Terre, beaucoup ont la bougeotte. Ils sont de plus en plus nombreux à vouloir et pouvoir voyager, et ils ne s’en privent pas.

Nous sommes souvent bienvenus là où nous allons. En particulier dans les lieux de villégiature, dont c’est la raison d’être, dans les zones rurales, auxquelles le tourisme apporte des ressources et de l’animation, dans les grandes villes, dont Paris et Londres. Mais pas partout.

Les résidents des destinations les plus prestigieuses s’énervent de voir arriver des foules de plus en plus nombreuses. Le problème de Venise est bien connu. Le même sentiment de saturation est ressenti dans d’autres lieux à travers le monde. C’est, par exemple, le cas des îles Baléares ou de certaines régions de Grèce, dont les habitants se replient dans les montagnes, comme le faisaient leurs ancêtres à l’approche des hordes ennemies.

Le tourisme, à l’évidence, c’est bien : bien pour les personnes qui voyagent, bien pour celles qui les accueillent, bien pour le monde. C’est l’expression d’une liberté fondamentale pour tous les Terriens. Et il nous a fait prendre conscience de la diversité et de l’unité de l’humanité.

Il y a forcément des dérives.

Ce sont les comportements inappropriés, irrespectueux, qui mettent en péril des richesses que nous devons préserver : les Galapagos, certains sites au Mexique, au Guatemala, au Pérou… et justifient ce propos du paléoanthropologue Antoine Balzeau : « Jamais nous ne trouverons des traces de tous les hommes qui nous ont précédés. Il n’y a que nous pour en laisser partout. » (Les Échos, 18.02.2019)

Ce sont les étranges chenilles processionnaires, ces files de touristes, dont il nous arrive de faire nous-mêmes partie…

Ce sont ces centres de triage que sont devenues certaines gares, où le monde entier se croise, sévèrement encadré, pour avoir la chance d’apercevoir brièvement un site unique au monde et d’en rapporter un selfie…

Ces spectacles nous imposent de nous demander : qu’arrive-t-il à l’humanité ? qu’est-ce que tout cela nous dit de ce que nous sommes ?

En ne réfléchissant pas aux conséquences extrapolées du tourisme de masse, nous allons vers de nouvelles questions. Comment, par exemple, continuer à voyager tout en diminuant notre empreinte carbone ? Certains, persuadés que la liberté individuelle doit céder le pas à leur conception de l’intérêt général, proposent de réglementer l’accès aux voyages aériens, par hypothèse à quelques centaines de milliers de chanceux par an, au hasard d’une loterie. Mais le libre déplacement des personnes est une valeur essentielle et le tourisme n’en est qu’un aspect. Nous devrions être capables d’imaginer des solutions qui rendraient tout compatible.

Afin d’encourager la réflexion, que l’on nous permette d’évoquer la tribu Sentinelle, dans les îles Andaman au large de l’Inde, qui a trouvé sa solution pour vivre heureuse, tranquille et cachée : repousser les visiteurs à coups de flèches !

Hélène Braun

Un court film sur les Sentinelles a pu être tourné en 1993 depuis un petit bateau par la réalisatrice indenne Aruna Haprasad. Pour le visionner : https://vimeo.com/195412554

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