EDITORIAUX 2003
Juin 2003
Pour un art de la crise

Tout crise est redoutable, quelles qu’en soient les raisons et les circonstances. Toute crise déclenche l’imprévisible. Nombreux sont les apprentis sorciers qui, croyant bien faire, se fiant à des calculs machiavéliques de causes et d’effets, ont déclenché des crises plus graves que les situations qu’il s’agissait de résoudre… D’où la propension universelle à s’abstenir d’agir, de crainte de s’exposer aux conséquences imprévisibles de la crise.
Le problème, c’est que, volens nolens, nous vivons désormais, en tout domaine, dans un environnement de crises. Celles-ci s’imposent au centre du spectacle du monde, il n’est plus possible de les cantonner dans la périphérie. Peut-être sont-elles une expression de notre époque, une époque de ruptures sans repères.
S’il en est ainsi, acceptons le fait que la crise cesse d’être exceptionnelle pour devenir une composante fréquente de la vie. Efforçons-nous de mieux la connaître et la comprendre, en essayant de répondre, entre autres, aux questions suivantes :
Qu’est ce qu’une crise ? Diverses disciplines apportent une contribution pour répondre à cette question : la philosophie, la politique, la psychologie, l’histoire, la sociologie, la science des organisations. Des sciences dures, par exemple la séismologie ou la météorologie, ont aussi leur mot à dire. Cette interpénétration de nombreux domaines de la connaissance suggère à elle seule la difficulté de la question.
Pour aller plus loin, que savons-nous des circonstances du déclenchement d’une crise ? de son cycle de vie ? existe-t-il une typologie des crises ? une méthodologie de leur gestion ? peut-on anticiper la venue d’une crise, la préparer ? pouvons-nous nous préserver de la fatalité (grandes épidémies), des effets de la négligence ou de l’amateurisme (qui ont, entre autres causes, contribué au 11 septembre 2001) ou encore du désarroi que risquent de susciter demain certaines évolutions sociales (chômage, retraites) ou la perte de compétitivité de l’Europe ? comment s’armer de courage pour l’éviter ou, au contraire, l’accueillir et la traiter ?
Dans une époque déchirée entre le désir de conserver et l’impératif de transformer, comment définir le souhaitable ? Vérifier que l’on ne se trompe pas ? Mettre en place une démarche en rupture ? Ce que la réforme ne sait pas faire, car le passé reste nécessairement sa référence, la crise peut éventuellement le faire surgir – si elle est abordée avec la prudence, la conscience de notre ignorance, qui sont indispensables – car elle porte la référence de l’avenir, qui est la signature de la prospective.
Comment faire à la crise sa place dans les stratégies des acteurs ? S’il est vrai que la crise devient une dimension fréquente de la vie des organisations, comment l’intégrer dans ces stratégies, comment préparer les dirigeants, et tout autant les équipes, à y faire face, à l’utiliser au service des stratégies, à en écarter les menaces ?
Comment prendre en compte l’opinion publique dans la gestion de la crise ? L’opinion publique s’impose de par sa présence et sa vigueur ; elle s’exprime selon les circonstances et les sujets, localement, nationalement ou mondialement ; elle traduit la montée en puissance de nouvelles solidarités, par exemple l’affirmation d’une classe moyenne mondiale, dont nous avons parlé précédemment ; et enfin, facteur essentiel, elle est une expression de la démocratie.
Mais l’opinion publique est un acteur dangereux, passionnel, enclin à proférer des anathèmes, exposé aux manipulations et sans défense vis-à-vis des « effets de horde » identifiés par Freud. Comment, tout à la fois, rester à l’écoute de l’opinion publique et s’en garder ? Comment éviter de se laisser gouverner par elle ?
Développons très vite l’art prospectif de la crise !

Armand Braun

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