EDITORIAUX 2012

Mars 2012

Prospective : pas d’alternative à l’arbitrage

L’arbitrage est une procédure courante, notamment dans la vie économique. Il va se répandre et se généraliser. Quand les ressources stagnent ou diminuent et que pourtant les responsabilités demeurent ou s’accroissent, comment faire autrement ? La question se pose déjà, par exemple pour l’environnement ou l’organisation sociale, au moment où nous nous rendons compte que « nous sommes infiniment plus endettés que nous le pensions et nous possédons beaucoup moins d’actifs que nous le croyions » (Denis Kessler, Challenges, 16 février).

En matière d’environnement, nous savons que la biodiversité subit une grave régression et que nous n’avons pas les moyens financiers de sauver la totalité des 20 000 espèces menacées. La journaliste Catherine Vincent, dans Le Monde du 5 février, posait la question : si nous devions choisir entre d’un côté les tigres, les pandas, les ours et les éléphants et de l’autre les fourmis, les abeilles, les vers de terre et les éponges, qui serait admis à monter dans l’Arche de Noé (étant entendu que ce sont les petits qui contribuent le plus à l’équilibre écologique général) ?

En matière d’organisation sociale, des enjeux majeurs vont très vite donner lieu à de rudes débats : les jeunes ou les vieux, l’investissement ou la redistribution, les zones denses ou les autres, le court terme ou le long terme… ? Il ne sera plus possible de tout financer et il faudra choisir entre des problématiques dont nous ne connaissons ni la totalité des paramètres, ni les coûts, et dont nous ne pouvons anticiper que superficiellement les évolutions et conséquences dans la durée.

Nous ne savons pas faire. Les assemblées élues agissent en écho aux sensibilités du moment, la justice selon des normes élaborées en d’autres temps, les organisations internationales en fonction des intérêts dominants, les experts associent ce qu’ils savent de fragments du réel et les croyances qui les animent, les administrations administrent… De même pour chaque personne, pour les entreprises. Et pourtant, il faudra décider. Si nous ne trouvons pas des réponses éclairées, c’est le rapport de forces qui s’imposera à nouveau, comme si souvent dans le passé. L’actualité nous en fournit déjà des exemples. Comme elles risquent d’être vaines, les invocations de la solidarité, de la démocratie, de l’humanisme, de la civilisation !

L’arbitrage en matière d’affaires générales est une question nouvelle, qui ne relève d’aucune institution et qui risque fort d’être douloureuse. Y pouvons-nous quelque chose ? Peut-être, si nous savons compenser les jeux à somme négative par des jeux à somme positive. C’est le moment de se consacrer à des projets réellement prospectifs, qui s’appuieront sur le pouvoir humain d’imagination, associé à la fantastique capacité de traitement de l’information dont l’humanité dispose désormais.

Le champion d’échecs Gary Kasparov proposait récemment que toutes les nations ensemble colonisent la Lune : cela ne serait pas impossible, c’est une hypothèse parmi d’autres pour sortir des arbitrages uniquement dictés par une terrible nécessité. Relisons Gaston Berger : « Il faut aujourd’hui beaucoup plus qu’hier former des hypothèses auda-cieuses, reposer les problèmes en termes nouveaux, essayer des chemins où personne ne s’est encore engagé. L’avenir n’est pas à attendre, mais à construire, par l’invention et le travail ; il est moins à découvrir qu’à inventer ».

Armand Braun

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