En un temps où aucun de nous n’était présent, dans la période qui a précédé l’an Mille, une irrésistible certitude s’est imposée : la fin du monde.
Cette peur largement partagée a conduit à un phénomène extraordinaire : ceux qui n’avaient rien ne pouvaient que prier et, les yeux tournés vers le ciel, attendre la calamité qui les emporterait ; les autres se sont empressés de mettre de l’ordre dans leurs affaires, comme le font, paraît-il, ceux qui préparent leur fin prochaine. Ils ont fait don à l’Eglise de leurs possessions terrestres. Et lorsque cette année annoncée comme apocalyptique a été révolue, lorsque tout le monde a constaté qu’il ne s’était rien passé, il a bien fallu continuer à vivre. Ceux qui s’étaient dépouillés de leurs biens ont dû tout recommencer et l’Eglise s’est retrouvée en possession d’immenses richesses. Quant aux pouvoirs politiques, qui partageaient la commune crainte, ils se sont prudemment tenus à l’écart du mouvement.
Les historiens sont divisés : certains sont persuadés que tout cela a bien eu lieu ; d’autres, Jean Delumeau en particulier, soutiennent que la grand peur de l’an Mille n’est qu’une légende ; tous s’accordent pour remarquer que cette période est une « tache blanche » de la connaissance historique et que nous n’en savons pas grand-chose.
Qu’importe. Ce qui est sûr, c’est que périodiquement l’Histoire connaît des psychoses collectives, dont les manifestations et les conséquences sont les unes et les autres souvent terribles.
De nos jours, comment ne pas évoquer les périls naturels qui se précisent si vite : le réchauffement, la montée du niveau des mers, la destruction des habitats naturels, la réduction de la bioversité, la pollution, les problèmes de l’eau, etc… La persistance du « beau temps » en cette fin d’année sera-t-elle encore bienvenue demain ?
Nos ancêtres qui ont vécu les événements de l’an Mille se croyaient victimes d’un phénomène surnaturel annoncé. Aujourd'hui, c’est aux conséquences de nos propres actions et peut-être à des phénomènes naturels que nous avons affaire. Mais la véritable différence est celle-ci : eux ne pouvaient influencer leur destin annoncé, nous, nous en avons la maîtrise.
Encore faut-il que nous sachions comment agir, c'est à dire nous dégager des schémas conventionnels et des discours incantatoires : cette affaire est trop importante pour que les Etats, qui n’en ont plus les moyens, aient le monopole de son traitement. Ce qui s’est passé début décembre à l’occasion de la COP21 en est la confirmation. Nous ne surmonterons les épreuves annoncées que si nous savons, dans la réflexion et dans l’action, regarder plus loin et concevoir ce que pourrait être un niveau supérieur de civilisation. Mais il faut pour cela être capable de réinventer les cadres mentaux et organisationnels. Cette tâche est principalement du ressort de la société civile mondiale.
Armand Braun
Woodrow Wilson, vingt-huitième président des Etats-Unis, président de l’Université de Princeton, a créé la Société des Nations et a reçu pour cela le prix Nobel de la paix en 1919. Mais parce qu’il était ouvertement raciste, un groupe d’étudiants exige que son nom soit effacé des mémoires et que soit débaptisé le département des affaires internationales nommé en son honneur.
C’est là une illustration de la récente tendance d’une partie de la société américain à s’engager dans une relecture de son passé. Au cœur de ces révisions la Guerre civile américaine, marquée par l’affrontement entre un Sud esclavagiste et un Nord abolitionniste et le sort réservé aux natives, les tribus indiennes présentes lors de l’arrivée des colons.
Le « Columbus Day », le deuxième lundi d’octobre, doit-il commémorer la découverte d’un continent, l’avènement d’une nouvelle ère, ou le début d’un génocide ?
Cette entreprise de réévaluation de l’histoire américaine, ébauchée au cours des dernières décennies, prend une nouvelle ampleur avec l’affirmation de minorités organisées.
On ne compte plus, un peu partout, le nombre de statues déboulonnées, de drapeaux remisés, de tableaux décrochés ou de lieux publics débaptisés. Une chasse aux symboles de la Confédération (Etats sudiste), aux personnalités liées au commerce des esclaves, aux hommes politiques ayant, en leur temps, défendu la ségrégation ou l’élimination des Indiens, s’est emparée du pays.
Mais, comme le souligne Harcourt Fuller, professeur d’histoire à l’université d’Etat de Géorgie, « retirer de l’espace public les symboles qui font polémique revient à les soustraire à la vue mais aussi à la réflexion. Ils doivent au contraire nous donner l’occasion d’un dialogue sur les aspects positifs et négatifs de notre histoire commune, d’autant plus aujourd'hui, où les tensions raciales et politiques sont fortes dans notre pays. »
Ainsi, à Stone Mountain, au lieu de détruire le bas-relief gravé dans la roche à la gloire de trois généraux confédérés, les autorités ont installé au même endroit un mémorial à Martin Luther King.
Adversaire de tous ces mouvements de purge, David Greenberg, professeur d’histoire à l’université Rutgers du New-Jersey, renchérit : « un pays se construit avec ce qu’il a comme histoire. L’honneur du travail historique est de montrer les différentes perspectives, leurs évolutions, pas de les cacher. »
Stéphanie Le Bars – Le Monde – 27 décembre 2015
La poupée Barbie, créée en 1959, était honnie des féministes qui lui reprochaient ses mensurations irréelles, un fantasme masculin de grand couturier.
Et voilà que son fabriquant, la société américaine Mattel, encourt d’autres foudres. Elle s’apprête en effet à mettre sur le marché une poupée Barbie, Hello Barbie, capable de dialoguer avec les enfants grâce à un logiciel de reconnaissance vocal. Avec cette poupée connectée, Mattel espère reconquérir les chambres d’enfant car les ventes de poupées Barbie sont en baisse depuis plusieurs années.
Mais cette initiative est violemment critiquée aux Etats-Unis, où est souligné le risque que des hackers prennent le contrôle de la poupée pour manipuler l’enfant et sa famille.
Elle l’est tout autant en Allemagne, où Hello Barbie a vite été surnommée Barbie IM du nom de l’abréviation désignant les informateurs de la Stasi, la police politique du régime est-allemand. On la soupçonne d’écouter et de transmettre à un central espion l’ensemble des conversations tenues auprès de la poupée.
Voilà qui promet à Hello Barbie une belle carrière !
La Mère Noël
Un jour, Thalia, la fille d’Asi Sharapi, a reçu un livre personnalisé en cadeau. A part son prénom dans l’histoire, c’était un livre de série, et assez idiot. Son père eut alors une idée. Pourquoi ne pas utiliser les nouvelles technologies de l’information et de la communication pour créer un livre d’enfant de qualité et sur mesures ?
Et c’est ce qu’il fit avec l’aide de deux amis. L’un, écrivain, imagina l’histoire ; l’autre, informaticien, mit au point le logiciel destiné à générer des versions individuelles de cette histoire. Le petit garçon/ la petite fille qui avait perdu son nom est un charmant livre illustré destiné aux 4-7 ans. Par exemple, Sam part à la recherche de son nom et rencontre successivement une Sirène, un Aviateur et un Mammouth et chacun lui fait don de sa première lettre. C’est un livre à l’ancienne, avec beaucoup de technologie derrière.
Lost my name s’est vendu cette année à 370.000 exemplaires aux Etats-Unis, mais aussi dans 160 pays différents.
Ces livres s’achètent en ligne. Il vous suffit de remplir le formulaire en définissant l’une des 9 langues disponibles (anglais, danois, allemand, espagnol, français, néerlandais, italien, portugais, suédois) et en indiquant le sexe de l’enfant, son prénom et en choisissant une nuance de peau et une couleur de cheveux.
Le logiciel génère un aperçu de l’ouvrage. Quand la commande est finalisée, le livre est imprimé dans une des dix imprimeries du monde et vous est livré à domicile (30 $ le livre).
Si vous ajoutez son adresse, vous pouvez, depuis l’automne dernier, vous procurer une nouvelle déclinaison (encore seulement en anglais) : The incredible Intergalactic Journey Home. L’enfant, accompagné d’un robot de compagnie, est perdu dans l’espace. Il voit son nom écrit dans les étoiles, vole vers la Terre à travers le système solaire, et, après quelques détours et aventures, il aperçoit un symbole de sa ville (la Statue de la Liberté, le Golden Gate Bridge, la Tour Eiffel … ), puis une carte aérienne de son quartier et enfin une image de la porte de sa maison.
Alexandra Alter – International New York Times – 24 décembre 2015
Les braconniers en quête d’ivoire s’attaquent en priorité aux éléphants les plus vieux parce que leurs défenses sont les plus grandes. Or les éléphants vivent en hordes dirigées par des femelles âgées. Leur disparition représente donc un réel danger pour le groupe.
Des écologistes qui étudiaient depuis 1997 les éléphants dans les réserves nationales au nord du Kenya s’attendaient à un effondrement social de la structure sociale des hordes ainsi privées de leur guide.
Ils ont eu l’heureuse surprise de constater que, après la perte de leur matriarche, les jeunes femelles tiraient parti des réseaux noués par leur mère avec d’autres hordes, parentes ou amies, pour reconstruire le groupe.
Il y a même eu un cas où une famille a perdu toutes ses adultes en une brève période de temps. Il ne restait que trois jeunes femelles et trois jeunes mâles. C’est une « adolescente » de 12 ans qui a pris la tribu en charge et a rejoint avec elle une autre tribu et sa matriarche.
Sindyan Bhanoo – International New York Times – 23 décembre 2015
On parle chaque année de Miss France et de Miss Monde (la Miss Monde 2015 a été élue fin décembre en Chine). L’Allemagne fait mieux.
La Reine de la Bière, qui s’appelle en 2015 Lara Niederheide, est élève-ingénieur. Elle est capable de porter simultanément six grosses chopes dans chaque main et de réussir toutes les dégustations en aveugle.
La Reine de la Pomme de Terre, Alessa Romani, a été élue à l’âge de seize ans. Elle aime à rappeler que c’est l’âge auquel le roi Louis II de Bavière a lui aussi accédé au trône.
La Reine des Aiguilles, Anja Fabricius, a remporté le titre face à six autres candidates. Elle a eu l’honneur d’être reçue par le président du Land de Thuringe où elle réside et où se situe la fabrique d’aiguilles où elle travaille.
La Reine de la Saucisse, Christin Herrmann, a gagné grâce à sa gentillesse et son sens du contact, son don pour le chant et la danse, et sa bonne connaissance de tout ce qui concerne la charcuterie.
La Reine des Rhododendrons, Charline Völkel, a été choisie pour ses connaissances en botanique et son talent oratoire. Elle est guide dans le parc local des rhododendrons, dans son village de Poméranie.
Quand il s’agit de Choucroute, la Reine détient un titre différent, celui de Régente. En 2015, ce sont deux Régentes, Maren Glatter et Silke Nöhren, qui ont été élues ensemble : la Régente étant très sollicitée, c’est plus facile à deux.
Ce sont ainsi pas moins de 120 reines différentes qui montent chaque année sur le podium en Allemagne.
Frederike Zoe Grasshoff et Martin Wittman – Süddeutsche Zeitung – 19 décembre 2015
Tout le monde le sait, trop saler ses aliments, c’est mauvais pour la santé. Mais voilà que des études aussi sérieuses que celles qui avaient conduit à la recommandation précédente viennent nous dire que la consommation de sel est sans rapport avec la santé. De telles controverses sont courantes, sauf que celle-ci oppose les chercheurs aux responsables de santé publique. C’est la guerre, on ne se parle plus. C’est dommage car cette affaire concerne des centaines de millions de personnes. Mais on peut aussi en tirer des enseignements.
Quand une institution s’identifie à une idée, elle s’y tient et tolère mal qu’on vienne lui dire autre chose.
Le décideur confronté à un problème a besoin de connaître la genèse des éléments qui lui sont soumis. Comment faire quand une seule interprétation lui est proposée ou qu’il doit arbitrer entre deux positions antagonistes, aussi argumentées l’une que l’autre, sans en connaître le contexte ?
Les chercheurs, qu’ils travaillent en milieu public ou en milieu privé, sont toujours tentés d’aller dans le sens du narratif maison. Des questions telles que « pouvons-nous trouver quelque chose d’autre ? » ou encore « comment surmonter cette contradiction ? » sont mal vues. On aboutit ainsi à un consensus entre des personnes qui pensent de la même manière et il est parfaitement possible qu’à l’autre bout de la ville d’autres chercheurs arrivent à des conclusions opposées.
De la discussion ne jaillit pas nécessairement la lumière.
Sandro Galea, Doyen de l’Ecole de Santé publique de Boston University – Fortune – 15 décembre 2015
On l’a rappelé à Cancún en 2010 : les déplacements de populations provoqués par le climat seront l’un des défis majeurs du monde face au réchauffement de la planète. Les bouleversements climatiques ont été l’un des déclencheurs de la Guerre au Darfour en 2007. L’extrême sécheresse qui a duré de 2006 à 2011 dans la majeure partie de la Syrie a joué un rôle dans la guerre civile et provoqué une émigration massive.
Selon un rapport publié par l’Observatoire des situations de déplacement interne, une ONG basée en Norvège, entre 2008 et 2014, 26,4 millions de personnes ont été déplacées chaque année par des inondations, des ouragans, des tremblements de terre et d’autres désastres naturels (rapport publié en juillet 2015 par le Conseil norvégien des réfugiés). Autrement dit : une personne déplacée chaque seconde pendant les sept dernières années. En 2014, le typhon Rammasum a, à lui seul, provoqué le départ de 628.000 personnes en Chine et 2,99 millions aux Philippines.
Si rien n’est fait, il y aura en 2050 près de 200 millions de personnes déplacées dans le monde.
Or, contrairement aux réfugiés politiques chassés par les guerres et les dictatures, les déplacés climatiques n’ont pas de statut juridique. Cette situation ne faisant pas consensus, ils n’étaient pas la priorité de la COP21 centrée sur la maîtrise des changements climatiques.
L’archipel de Kiribati commence à être submergé par la montée du Pacifique. Prévoyant, Anote Tong, son président, a acheté pour son peuple un refuge de 20 km² sur Vanua Levu, une île des Fidji à 2000 km de là. Un certain Ionane Teitona, originaire de Kiribati a tenté de devenir le premier réfugié climatique du monde. En 2007, il était parti pour la Nouvelle Zélande. Quand son visa a expiré en 2010, il a saisi la justice pour obtenir le statut de réfugié climatique. Mais en juillet 2015, après un long parcours judiciaire, la Cour suprême néo-zélandaise le lui a refusé et il a été expulsé en septembre avec sa famille.
Sewell Chan – International New York Times – 14 décembre 2015
Gaétan Supertino - Europe 1 en ligne – 30 novembre 2015
A Saint-Georges- de-l’Oyapock, en Guyane, un pont a été construit sur la rivière Oyapock pour relier cette région française au Brésil tout proche. Il avait pour vocation de promouvoir le commerce et de symboliser la coopération internationale. Annoncé en 1997 par Jacques Chirac et le président brésilien Fernando Henrique Cardoso, il a été achevé en 2011 et a coûté environ 30 millions d’euros. Le financement devait être partagé entre la France et le Brésil.
Problème : ce pont est toujours fermé à la circulation. Pour des raisons trop nombreuses pour être évoquées ici. Certaines relèvent du Brésil, qui n’a pas réalisé les travaux d’infrastructure nécessaires (aucune route ne mène jusqu’au pont du côté brésilien). D’autres de la France, avec notamment l’affaire des visas : les citoyens français n’ont pas besoin d’un visa pour aller au Brésil et les citoyens brésiliens n’ont pas besoin d’un visa pour aller en France, mais les Brésiliens doivent obtenir un visa pour aller en Guyane. En effet, plusieurs problèmes ne sont pas résolus : l’immigration illégale des Brésiliens, les mines d’or clandestines en Guyane, les droits de pêche … Sur place, selon qu’ils sont optimistes ou pessimistes, les uns disent que le but était de construire un pont, non de s’en servir ; et les autres lui promettent le destin de la Tour Eiffel : très mal considérée au départ, elle est devenue le symbole de Paris.
En attendant, le contribuable français sera content de savoir que son argent a été bien employé…
William Neuman – International New York Times – 9 décembre 2015
Voici Robby, 1 m 20, Jibo, haut comme un frigo table top, Mabu, de la taille d’une cafetière … Ce sont des prototypes de robots qui vont bientôt entrer dans nos maisons. Equipés de caméras, radars, microphone, haut-parleur, tablette tactile, ils seront capables d’exécuter toutes sortes de tâches : faire le ménage, ramasser un objet tombé sous un meuble, tondre le gazon, servir le café …
C’est surtout auprès des personnes âgées qu’ils se révèleront utiles : ils les aideront à ne pas perdre l’équilibre, les accompagneront dans leurs déplacements, leur donneront le bon médicament à la bonne heure, assureront le contact avec le médecin et le pharmacien…
Déjà 14% de la population mondiale a plus de 65 ans. Vers 2050, le nombre de personnes âgées dans le monde devrait plomber les systèmes de santé. D’où l’utilité de ces nouvelles technologies qui deviendront au fil du temps moins coûteuses que les auxiliaires humains.
Toyota, en relation avec Stanford, va appliquer l’intelligence artificielle à la sécurité automobile. Ce pourrait être notamment un moyen pour les personnes trop âgées pour conduire de continuer à jouir de l’indépendance que donne un véhicule individuel.
L’autre défi du grand âge, c’est la solitude. Là aussi, les nouvelles technologies ont un rôle à jouer. L’un des plus importants organismes d’aide aux personnes âgés des Etats-Unis (Brookdale Senior Living) se sert d’Internet et de Skype pour aider ses patients à rester en contact avec leur famille et leurs amis. Des personnes âgées atteintes de déficience cognitive ont vu leurs capacités s’améliorer après six semaines de dialogue en ligne. «On ne peut pas leur demander de sortir et de se faire des amis ; ceci est une manière de leur procurer du lien social. »
Les robots seront aussi des compagnons. Mabu, qui vous écoute et vous répond, ressemble à un manga. Jibo a, à la place du visage, un écran tournant avec une face rigolote et souriante. Le robot de Naira Hovakimayan, chercheuse en robotique à l’université d’Illinois, est un drone. Elle pense que dans dix ou vingt ans, les drones seront devenus des auxiliaires de vie aussi naturels et indispensables que le sont aujourd'hui les téléphones portables. Elle a nommé ses drones Bibbidi Bobbidi Bots, une expression tirée du dessin animé Cendrillon de Walt Disney, pour en montrer le côté amusant et familier.
John Markoff – International New York Times – 9 décembre 2015
Le perroquet est un animal de compagnie très populaire au Nigéria et un symbole de statut social. Mais quelle langue lui enseigner ? C’est le problème auquel sont confrontés les marchands d’oiseaux car dans ce pays on parle 530 langues !
A l’église, les offices durent des heures car le sermon est traduit en trois au quatre langues. Quand on appelle un service clientèle, on commence par avoir droit à une pléthore d’options : 1 pour l’anglais, 2 pour le haoussa, 3 pour le yoruba, 4 pour l’igbo…
Un perroquet reproduit tous les bruits qu’on lui fait entendre. Laissez-en un dans l’entrée, il fera bientôt « ding-dong », sonnera comme le téléphone ou imitera le bip de la boîte de fusibles qui s’arrête. Devant un magasin situé sur une artère passante, il klaxonnera ou imitera la sirène des voitures de police…
Ceux qui sont élevés au sein d’une population polyglotte ne parlent pas toujours la langue la plus recherchée par les acheteurs. Tel marchand d’oiseaux de Kano, au nord, a acheté un jour un perroquet qui avait appris le yoruba, une langue qui n’est parlée que dans le sud. Il a eu beaucoup de mal à le revendre. A Lagos, les marchands de perroquets sont yorubaphones, leurs perroquets aussi, mais leurs clients ne parlent que haoussa. A l’inverse, à Abuja, il y a une oisellerie où les employés enseignent à leurs perroquets à dire ina kwana (bonjour) et aku (perroquet) en ahoussa … mais leurs clients parlent yoruba. Et le patron se dit que s’il recrutait un employé Yoruba pour faire parler les perroquets celui-ci ne s’intégrerait pas à l’équipe.
Le Nigeria n’est qu’un exemple. Caprice de la géographie, les perroquets vivent dans les coins les plus multilingues du monde : l’Amazonie, l’Indonésie, l’Afrique centrale. Les habitants ont parfois du mal à communiquer avec un village situé à quelques kilomètres. Les perroquets se heurtent aux mêmes barrières.
En fait, les oiseaux ont leur propre langue pour communiquer entre eux. Ils constituent ainsi des groupes qui parlent la même langue. C’est pour eux une question de survie : ils se disent « je suis là, je suis l’un d’entre vous ». Ceux qui grandissent dans une forêt où il existe plusieurs dialectes les parlent tous et passent ainsi facilement d’un groupe à l’autre. Les perroquets élevés avec des humains imitent leur voix pour s’intégrer socialement de la même manière que dans leur forêt d’origine.
Drew Hishaw – The Wall Street Journal – 3 décembre 2015