Prospective.fr – Avril 2017 – Edito
Le dernier salarié éteindra la lumière en partant

Le processus schumpetérien de destruction/création du travail s’accélère avec les transformations à l’œuvre dans le monde et dont ce qui se passe dans le numérique est une illustration, mais pas la seule. D’un côté, le Danemark ne trouve plus le personnel dont il a besoin et « souffre » du plein emploi… De l’autre, Goldman Sachs à New York licencie 600 traders et les remplace par 200 ingénieurs informaticiens (moins bien payés).

L’externalisation du travail progresse très vite. La spécificité du phénomène, c’est d’intervenir à la fois du côté des entreprises et du côté de ceux qui y travaillent ou travaillent avec elles. Les entreprises américaines les plus connues, les plus avancées – Apple, Google, etc. – la pratiquent à tout va. Aux yeux des professionnels, les charmes du salariat se sont fanés. Ils veulent tous être auto-entrepreneurs, créateurs de start-up, travailleurs temporaire, « uberistes ». Ils sont jeunes, parfois très jeunes. Leur relation avec les employeurs potentiels a elle aussi complètement changé, elle s’équilibre dans la recherche au niveau micro d’un accord entre l’offre et la demande.

Attirer les compétences et les conserver le temps qu’il faudra devient un souci majeur pour les entreprises, dans un contexte de compétition scientifique et technique à ce point évolutif que la compétence globale de l’équipe ainsi que la présence en son sein de stars reconnues devient pour elles une affaire existentielle. Ce sont des femmes aussi bien que des hommes : il n’y a plus de « plafond de verre » pour l’emploi des femmes, y compris pour les postes dirigeants. La compétence de chacun et de tous ensemble est bien l’essentiel.

Ce processus, qui a commencé dans la Silicon Valley, se développe vite chez nous qui – bizarrement – avons réussi à en rester à 10% de chômeurs, alors que le plein-emploi existe partout ailleurs. L’industrie allemande a rappelé ses retraités au travail. Une situation est carrément plaisante : celle des pays d’Europe Centrale (Hongrie, Tchéquie…) qui accueillent si mal les immigrants mais qui, confrontés au vieillissement de leur propre population, ouvrent aujourd’hui les portes de leurs entreprises aux étrangers déjà installés.

Le désordre qui accompagne cette transformation fait surgir des profils hier inconcevables, tel celui du polytechnicien chômeur. Il met en valeur la situation de l’artisanat, puissant attracteur et symbole de modernité désormais. Par contre, adieu l’aménagement du territoire alors que l’emploi ne cesse de se concentrer dans des limites géographiques étroites : hors ces limites, point de salut pour les employeurs et ceux qui souhaitent travailler (le rôle du télétravail, certes important, reste marginal). A leur périphérie, beaucoup d’espace reste disponible pour le loisir et les maisons de campagne…

En bref, le paysage de l’emploi et du travail dans lequel nous avons encore l’illusion d’être a déjà disparu. Il reste des apparences, des formes, des rituels, des simulacres. Et des enjeux nouveaux se profilent pour le proche avenir : les véhicules autonomes, les robots mobiles dans l’industrie, l’intelligence artificielle… Ils détruiront des emplois, ils en créeront d’autres.

Une seule donnée peut réconcilier aussi bien les territoires que les générations : l’augmentation sans limite des besoins d’éducation, de formation professionnelle et de recherche. Mais en discontinuité. La méritocratie d’hier, enracinée dans le diplôme et le statut, a vécu. La méritocratie d’aujourd’hui et de demain, fondée sur la compétence vérifiée par le marché du travail, est déjà là.

Armand Braun

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