Prospective.fr – Septembre 2015 – Edito

Drame de l’immigration et prospective

Dans les premières années du XVIIIe siècle, deux illustres personnages se sont opposés à propos de l’accueil à réserver aux immigrants. Cela se passait à Londres. Les immigrants étaient des Allemands du Palatinat chassés de chez eux par les guerres de religions et qui espéraient se rendre en Amérique. Et ceux qui se disputaient à leur propos, Daniel Defoe, l’auteur de Robinson Crusoé, et Jonathan Swift, l’auteur de Gulliver. Dans The poor Palatine refugees, Defoe plaidait en faveur des immigrés. Swift recommandait de n’admettre que les personnes qualifiées et de ne pas accepter les autres. Ce débat, évoqué par l’écrivain allemand Hans Christoph Buch dans son récent essai, Boat People, Literatur als Geisterschiff, reprend de nos jours, à une échelle et avec une gravité qui n’ont plus rien à voir avec ce précédent.

Aujourd’hui, des centaines de milliers de personnes se pressent aux portes de tous les pays d’Europe et tout indique que le processus va se poursuivre. Et on comprend les sentiments qui agitent les populations européennes de manière de plus en plus intense. Les passions montent, farouchement contradictoires. Comment, pour les uns, assumer notre devoir vis-à-vis de nos frères humains ? Comment, pour les autres, préserver nos cultures et nos identités historiques ? … Chacun peut prendre la mesure du désarroi. Les collectivités, les associations et les institutions elles-mêmes sont débordées. L’urgence est extrême, les ressources pour faire face très insuffisantes. Il n’y a pas d’issue … et pourtant il faudra bien aboutir. Quant aux lendemains, aux périls politiques et autres qui vont s’exacerber, on verra plus tard …

Depuis au moins vingt ans on pressentait ce qui allait arriver. Mais que faire ? Le refus de voir et les bonnes paroles ont tenu lieu de compromis. Et quand, au cœur de l’été, « la bise fut venue », contraignant nos estivants à côtoyer sur les plages toute la misère du monde, qu’après les vacances ils retrouveront à leur porte, nous subissons les conséquences de notre imprévision. Voilà à quoi mène le long refus de la démarche prospective.

Servons-nous au moins de ce drame pour en éviter d’autres. Sur le fond, les mêmes causes qui ont conduit au drame humanitaire actuel peuvent en induire bien d’autres. On peut évoquer l’éducation, l’emploi, l’environnement, la santé … en se souvenant qu’on ne peut jamais prévoir exactement le lieu d’une éruption volcanique. Et quand la prochaine crise éclatera, nous nous retrouverons hélas aussi dépourvus que nous le sommes aujourd’hui !

Armand Braun

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