Le spatial vient d’entrer dans une nouvelle ère, celle des mégaconstellations de satellites destinés à fournir, depuis l’orbite basse (moins de 2 000 km d’altitude), du débit Internet à tous les Terriens, partout et tout le temps. Il n’est pas impossible qu’on dénombre, à la fin de la décennie, plus de 50 000 nouveaux satellites dans le ciel. Un chiffre à comparer avec les quelque 8 000 engins envoyés en orbite depuis le début de l’ère spatiale en 1957.

Jan Wörner, directeur général de l’Agence spatiale européenne, est préoccupé par la menace d’une augmentation des accidents de la circulation spatiale, susceptibles de multiplier les débris et de polluer l’orbite basse au point de la rendre inutilisable. Il faut d’urgence un code de la route ad hoc. Qui aura la priorité dans l’espace où n’existent ni gauche, ni droite, ni haut, ni bas ? Qui sera le gendarme chargé de faire respecter ce code ?

Pour l’heure, la seule règle mondiale est la norme destinée à empêcher la création de nouveaux débris. Quand un satellite arrive en fin de vie, il faut que ses réserves d’énergie soient mises à zéro afin d’éviter les explosions répandant du carburant. Et il faut libérer les orbites protégées (géostationnaires et orbite basse) dans un délai de 25 ans. Les vieux satellites géostationnaires sont remontés de plusieurs centaines de kilomètres sur une orbite dite « cimetière ». Mais l’orbite basse est précisément celle où vont évoluer les mégaconstellations.

Cette orbite basse est divisée en deux régions. En dessous de 600 km d’altitude, la présence résiduelle de l’atmosphère freine les satellites qui s’y trouvent et les fait retomber sur Terre en quelques mois ou quelques années. En pénétrant à très haute vitesse dans l’atmosphère, les engins se consument et se désintègrent. Pour l’instant, tous les satellites Starlink déjà lancés vont évoluer à 550 km, sous la barre fatidique. Néanmoins, il est prévu qu’une partie de la constellation monte entre 1100 et 1325 km, zone où passeront aussi les appareils OneWeb. À cette altitude, plus d’atmosphère et donc plus de redescente naturelle. Les satellites sont là virtuellement pour toujours. Hors de question qu’ils y meurent et s’ajoutent aux quelques 30 000 débris de plus de 10 cm déjà en orbite autour de notre planète. Il faut donc prévoir un dispositif de rentrée dans l’atmosphère et une réserve de carburant importante.

Si la fin de vie s’avère gérable, pour peu qu’on l’ait anticipée, la panne l’est beaucoup moins. Un satellite qui devient incontrôlable est un déchet de plus. Les opérateurs doivent prouver que le taux d’échecs de leurs satellites ne dépasse pas 10%. Mais ce taux acceptable pour les petites constellations de télécommunication et de géolocalisation, qui totalisent quelques dizaines de satellites, le sera beaucoup moins avec des flottes de milliers d’appareils. Une mégaconstellation pourrait produire 4 000 « cadavres » spatiaux.

Comment éviter que chaque engin défaillant ne se transforme en débris dangereux ? Il faudra innover : installer sur chaque satellite un kit de désorbitation entièrement automatique et autonome, envoyer des dépanneuses dans l’espace pour le nettoyer…

Sans parler des accidents possibles, la profusion de satellites artificiels brouille d’ores et déjà les observations des astronomes, y compris celles réalisées à partir des télescopes les plus performants. « Oh mon Dieu, encore plus de fausses étoiles dans le ciel qui nous empêchent de voir les vraies ! » s’est exclamé dans un tweet agrémenté d’émoticon affligés l’astrophysicien suisse Didier Queloz, prix Nobel de physique 2019. Et Eric Lagadec, vice-président de la Société française d’astronomie et d’astrophysique, de s’agacer aussi : « On risque de perdre notre ciel simplement pour réduire la latence des jeux vidéo en ligne ou pour s’envoyer encore plus de photos de chats. C’est énervant… »

Pierre Barthélémy – Le Monde – 19 février 2020

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