Alors que l’intelligence artificielle étend son emprise à l’ensemble des formes d’activités, les grands opérateurs se livrent à une danse du ventre pour séduire ceux qui sont capables de la mettre en œuvre. Il est vrai qu’ils sont rares : moins de dix mille dans le monde. Si vous êtes l’un d’eux, vous pourrez, à la sortie de l’école ou peu après, gagner dans la Silicon Valley 300 000 à 500 000 dollars par an avec en bonus des actions qui vous donnent l’espoir de devenir bientôt millionnaire. Mais faites vite : vous n’avez que dix ans de bon !
Les acteurs qui ont du mal à rester dans la course – entreprises, banques, administrations, armée et police notamment – se font, à juste titre, bien du souci. Un seul exemple, la cybersécurité : des agressions récentes pourraient résulter d’un différentiel de compétence entre services spécialisés et hackeurs.
Les universités aussi : elles sont le principal terrain de chasse des recruteurs. Entre gagner beaucoup d’argent et former les étudiants, les professeurs d’intelligence artificielle balancent. D’autant plus qu’en travaillant pour les entreprises, ils enrichissent aussi leurs connaissances. En pratique, beaucoup partagent leur temps entre enseignement et entreprise. La question est devenue encore plus critique depuis que l’État américain a sensiblement réduit pour les universités la possibilité de recruter des étudiants étrangers de talent. Les gens capables de résoudre les problèmes les plus difficiles ne sont ni tellement nombreux, ni forcément américains.
Nous sommes loin d’avoir perçu toutes les conséquences de la recomposition engagée dans le monde entier. En voici quelques images.
Les dix mille d’aujourd'hui deviendront très vite cent mille, puis un million… Des lieux de haute compétence s’affirmeront partout. Ainsi, l’Inde, où IBM emploie plus de personnel qu’aux États-Unis ; ou la Chine, farouchement engagée dans son effort. Nous autres Européens, et notamment les Français, sommes bien placés (la French Tech). Ce n’est pas hasard que les Français sont si appréciés dans la Silicon Valley.
Demain plus encore qu’aujourd'hui, le niveau des personnes en mathématiques et technologies fera la différence. Mais pas seulement. Nous avons à traiter des problématiques qui dépassent largement les préoccupations des créateurs et aussi ce que nous croyons savoir des transformations sociales. Ce ne sont pas les acteurs du changement scientifique et technique qui penseront ce nouvel avenir. Nous avons en Europe une tradition de formation littéraire, de culture générale et d’expression libre, dont la valeur commence à être reconnue, en premier lieu aux États-Unis, historiquement peu favorables aux humanities. Et une culture en matière d’Histoire et de vie sociale en regard de laquelle les petits génies de la Côte Ouest et d’ailleurs font figure de primitifs.
L’organisation des entreprises, des administrations, des collectivités de toute nature est chamboulée. On assiste, sous le signe de l’urgence et de l’incertitude, à un rapide rajeunissement du personnel d’encadrement, à la multiplication de profils nouveaux (les digital officers…) et à la mise en cause des stratégies classiques et de ceux qui les portent encore.
Car, ne l’oublions pas, jusqu’à nouvel ordre, la société s’émerveille, s’effraye, encaisse. Cela ne durera pas. Quelles formes, quelles expressions revêtira son éveil (ne reparlons pas une fois de plus des luddites, ceux qui cassaient les machines au début de la révolution industrielle en Angleterre) ? Attendons-nous à être surpris.
Armand Braun
La capitale de la grande nation portugaise est riche d’une histoire glorieuse. Elle a traversé bien des époques compliquées, voire tragiques. Aujourd'hui, elle est vivante, active, dynamique, en pleine réussite.
Les touristes s’y pressent : chaque année, ils arrivent plus nombreux (autour de 7 millions actuellement). On comprend bien pourquoi : le climat est agréable tout le long de l’année ; la vie n’est pas chère ; les restaurants de qualité sont nombreux ; les plages de l’Algarve ne sont pas trop éloignées…
Des jeunes originaires d’ailleurs s’y installent : des Millénials aisés, venus de toute l’Europe ou de l’Amérique du Nord. Ils y vivent de petits boulots, habitent le centre-ville et passent leur week-end à surfer ou à boire sur les plages des environs. Ils jouissent ici d’une qualité de vie sans égale.
Mais …
Les habitants quittent le centre-ville pour la périphérie (moins 125 000 en cinq ans). Dans une seule rue du quartier touristique d’Alfama, il y a plus de 230 offres Airbnb. Les prix de loyers ne cessent de grimper, les locations deviennent rares, les commerces et autres services disparaissent… On commence à voir à Lisbonne les phénomènes de rejet et les menaces de dénaturation que l’on observe depuis un certain temps à Barcelone et à Venise.
Et les jeunes Portugais s’en vont. Selon une récente enquête, 60% des 18-35 ans cherchent à s’expatrier car ils ne trouvent pas sur place la possibilité de s’engager dans de véritables carrières professionnelles.
Certes, tout va bien et tant mieux. Mais Lisbonne ne crée pas de richesse, elle profite d’un moment favorable dont on espère pour elle qu’il se prolongera longtemps. Ce modèle de développement génère de la prospérité mais il est fondamentalement factice et ne prépare pas l’avenir.
Lisbonne n’est actuellement un exemple que pour ceux qui ne savent pas voir.
Sirin Kale – The Independant (Londres) – 26 septembre 2017
repris par Courrier international – 26 octobre 2017
prospective.fr
L’obsession actuelle est d’éliminer tout ce qui est négatif. Elle se manifeste de manière éclatante dans l’agriculture, dont le modèle idéal est d’être un jour sans pesticides, sans OGM, sans engrais. Elle triomphe aussi dans l’alimentation, qui se veut sans colorant, sans conservateur, sans glutamate, sans matière grasse, sans huile de palme, sans gluten… Les shampoings et gels de douche se vantent d’être sans paraben, les déodorants d’être sans sels d’aluminium, les mascaras sans nickel, les rouges à lèvres sans dioxyde de titane.
Les secteurs de l’alimentation et de la cosmétique vendent l’absence. L’important est ce qu’il n’y a pas dans le produit. L’argument qui doit convaincre, c’est qu’on ne trouve pas ce qu’on achète !
Il en va de même des voitures, d’autant plus vertueuses qu’elles sont sans émissions de CO2, sans consommation d’énergie fossile, bientôt sans chauffeur. L’idéal de la vie « sans » est partout : sans impact carbone, sans déchet, sans nuisance.
Certes, tout cela est légitime. Il est bien normal de s’appliquer à écarter les nuisances, il est louable de préserver la santé des consommateurs, les équilibres naturels, les ressources de la planète, les conditions de vie des générations futures. Qu’on veuille éliminer les risques se comprend. Ce qui doit préoccuper est qu’on ne parle et ne pense qu’à cela. Comme si la suppression du négatif tenait lieu de tout – seul mode d’action, seul objectif. Cette obsession est un symptôme.
De même en politique. Le bon élu est sans corruption, sans scandale, sans dossier dans les placards, plutôt que riche d’idées neuves.
Et voyez la représentation du bonheur que véhiculent magazines et gourous : l’individu heureux est sans stress, sans speed, sans heurt, sans souci, sans à-coup, sans angoisse. Voyez enfin, stade ultime du « dégagisme » généralisé, le transhumanisme qui s’est développé au fil des ans : il rêve d’une vie sans la mort, d’un code génétique sans bug, d’un humain sans limites. À l’horizon : l’existence sans tragique.
Ce qui revient, en fait, à une vie sans signification, parce que sans conflit et sans combat. Alors qu’au contraire dire « oui » au monde, à la vie, c’est tout prendre : la joie avec la souffrance, l’amour avec la haine, la confiance avec la trahison, la naissance avec la mort… Avec, pas sans !
Roger Pol Droit – Les Echos – 27 octobre 2017
L’éclairage nocturne empêche de voir les étoiles et l’on sait maintenant qu’il perturbe les migrations des oiseaux, les cycles de reproduction des êtres vivants, la pollinisation de la flore. Les villes commencent à s’en préoccuper.
Les villes-lumière – un projet à la fois esthétique mais surtout sécuritaire – ne sont plus de mise.
Créée il y a vingt ans par des astronomes, l’Association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturne décerne chaque année un titre aux agglomérations les plus respectueuses du ciel nocturne en classant – à l’image des villages fleuris – les « villes et villages étoilés ».
Depuis 2013, un arrêté impose l’extinction des bureaux une heure après le départ du dernier employé, celle des vitrines entre 1 h et 7 h du matin, celle des façades à 1 h du matin.
L’éclairage public change : suppression des lampes boules qui éclairent le ciel, orientation des flux lumineux vers les piétons et les véhicules, installation de détecteurs de présence, abandon de la lumière blanche qui gêne les insectes…
Plusieurs centaines de communes éteignent carrément l’éclairage public au cœur de la nuit. À Saint-Brieuc, par exemple, sur décision du Conseil municipal, des quartiers entiers sont plongés dans le noir dès 23 h et jusqu’au petit matin, sans aucun réverbère allumé. C’est par mesure d’économie d’énergie et surtout pour préserver la biodiversité autour de cette ville proche d’une réserve naturelle.
Thomas Pesquet lui-même remarquait que, vu de l’espace, «c’est magnifique l’Europe éclairée, ce tapis de lumière, mais on se demande parfois pourquoi tout est encore allumé à 23 heures ».
Véronique Le Billon – Les Echos – 26 octobre 2017
Dans notre éditorial du mois dernier, nous attirions l’attention sur les dangers que courent les piétons sur des trottoirs sillonnés désormais par toutes sortes de véhicules (des trottinettes aux bicyclettes en passant par les planches à roulettes.
C’est un problème mondial, laissé de côté jusqu’ici par les municipalités qui préfèrent se consacrer à la réduction de la circulation automobile, pour lesquelles verbaliser le mauvais stationnement est une source de recettes facile et qui, surtout, ne savent comment s’y prendre.
Une première contre-offensive vient … de Honolulu. Elle porte sur un aspect limité de la question. Une enquête y a montré que regarder un écran en traversant vous ralentit considérablement (18% de temps en plus) et est évidemment source du danger dû à la distraction.
Les piétons pris à traverser la chaussée en regardant leur écran au lieu de la circulation y sont désormais passibles d’une amende de 35 $ et, s’il y a accident, la responsabilité sera partagée entre l’automobiliste et le piéton.
Certaines villes américaines en viennent à interdire carrément l’usage du téléphone portable dans les rues : c’est une formule extrême, car sur les trottoirs on ne risque rien en principe, mais de fait cette mesure aurait mis fin aux accidents mortels.
Pas besoin d’être grand clerc pour anticiper que toutes les villes du monde vont expérimenter des manières de traiter les nouveaux désordres de la mobilité urbaine.
Tanya Mohn - International New York Times – 26 octobre 2017
La ville de Toronto souhaite faire revivre une friche industrielle de 325 hectares située au bord du lac Ontario, près du centre-ville. Pas question de se satisfaire d’un ensemble immobilier et commercial comme il y en a tant d’autres de par le monde. Il faut faire bien et enrichir à travers cette réalisation l’identité de la ville, ses caractéristiques organiques et historiques. Comment faire ?
Après une longue phase de consultations auprès des habitants de la ville, avec le soutien de l’État fédéral canadien, la ville a confié ce projet de réaménagement urbain à un opérateur non conventionnel : Alphabet, composante de Google, acteur du numérique, à travers sa filiale Sidewalk Labs.
C'est la première fois qu'une ville confie un vaste projet de réaménagement urbain à un des géants du numérique. Jusqu'à présent, ceux-ci se contentaient d’aménager leurs sièges sociaux et leurs abords, comme Facebook à Menlo Park, Apple à Cuppertino ou Amazon dans le centre-ville de Seattle. Ils veulent maintenant imprimer leur marque dans le monde physique.
Sidewalk Labs commencera par créer un projet pilote sur une zone d’un peu moins de 5 hectares, Quayside, où Google implantera son siège canadien. À terme, ce projet réalisera un rêve technologique urbain : neutralité des émissions de carbone, tri sélectif des déchets grâce à des capteurs, bâtiments modulables avec logements, espaces partagés, commerces, moniteurs pour mesurer le bruit et la pollution, navettes et taxis sans conducteurs, robots pour les livraisons, feux de signalisation s’adaptant automatiquement à la circulation, pistes cyclables et trottoirs auto chauffants où la neige fond toute seule (oui, nous sommes au Canada…).
Emily Badger - International New York Times – 20 octobre 2017
Sylvain Arnulf @srnlf
En 2014, un joueur de foot donne le départ d’un match en shootant dans le ballon alors qu’il est paralysé depuis la taille. Il le fait grâce à un exosquelette commandé par sa pensée. C’est l’aboutissement de vingt ans de recherche sur les technologies de l’interface cerveau-machine à l’université Duke.
En vue de soigner la maladie de Parkinson, l’épilepsie, les AVC, l’infirmité motrice cérébrale, voire l’autisme, des chercheurs travaillent sur la possibilité de relier les cerveaux entre eux sans passer par l’intermédiaire de la parole ou de l’écrit. C’est extraordinaire, évidemment risqué : des pirates pourraient manipuler les pensées et les actions des individus connectés. Autre danger : les ordinateurs n’innovent pas ; le cerveau humain, lui, est tellement adaptable que, connecté à un ordinateur, il se mettra à prendre des décisions selon un processus binaire. Il se déshumanisera.
D’ores et déjà, quand on sait qu’une information est disponible sur Internet, on se met à l’oublier – y compris pour certains leurs propres adresse et numéro de téléphone ! L’absence d’effort intellectuel dégrade rapidement la neuroplasticité, c'est à dire la capacité du cerveau à produire des connexions synaptiques et donc à apprendre. Depuis que les chauffeurs de taxis londoniens utilisent l’application de navigation Waze au lieu de retenir le plan de leur ville, le volume de leur hippocampe (la zone qui stocke la mémoire à long terme, notamment spatiale) mesuré par imagerie cérébrale a nettement diminué.
Miguel Nicoletis – The Wall Street Journal - 10 octobre 2017
Laurent Alexandre – Le Monde – 18 octobre 2017
Hier encore, les jeunes employés des entreprises faisaient les photocopies, rédigeaient des résumés, transcrivaient des documents en power point, préparaient le café… Aujourd'hui ils ont un nouveau rôle : aider le patron à s’insérer dans le XXIe siècle.
La plupart des dirigeants d’entreprise ont aujourd'hui la cinquantaine. Snapshat, twitter, les émojis ne font pas partie de leur culture. Ils ont certes tous une bonne maîtrise d’Internet, acquise par la pratique au fil du temps, mais ils ont aussi la claire conscience de leurs insuffisances dans ce domaine. Il leur faut trouver une solution.
Beaucoup la trouvent auprès des plus jeunes collaborateurs. Demander l’aide de jeunes employés - les Millénials nés après 1982, voire la génération Z née après 1996 - est plus économique que faire appel à des consultants extérieurs, plus efficace que demander à ses enfants ou petits-enfants.
Hier inconcevable, cette approche devient courante et revêt des formes de plus en plus diverses. Témoin cette entreprise qui a constitué des binômes entre cadres seniors et employés juniors pour des conversations mensuelles sur toutes sortes de sujets.
Les vertus de ces nouvelles pratiques sont nombreuses : se connaître, apprendre les uns des autres, développer les échanges informels autour de la résolution de problèmes, conforter une culture d’entreprise qui passe du domaine des belles déclarations à de vraies relations entre les personnes.
Kevin Roose - International New York Times – 17 octobre 2017
Dans les déserts de l’Ouest américain, 86 000 chevaux (les « mustang ») et ânes sauvages galopent en liberté. Pour avoir survécu dans cet environnement hostile, ces animaux sont particulièrement résistants et dotés d’une volonté farouche.
C’est aussi dans cette région que sont installées des prisons. Leurs responsables ont le souci de fournir des occupations aux détenus, les aider à retrouver le droit chemin, voire un métier pour se réinsérer une fois dehors.
Depuis des années, pour douze à quinze d’entre eux, tous volontaires, et qui n’avaient précédemment aucune expérience des chevaux, ont été mis en place des programmes de dressage des chevaux et des ânes (2 000 par an).
Quand ces deux fortes personnalités, celle de l’homme et celle de l’animal, se confrontent, c’est une école d’endurance et de patience. Il faut beaucoup de temps, par exemple, pour faire accepter à un mustang d’avancer de trois pas dans une direction donnée. Le dresseur commence par nourrir et abreuver régulièrement son cheval. Il gagne lentement sa confiance, jour après jour : « Au début, le cheval ne veut rien savoir du tout ; puis petit à petit, on réussit à s’en approcher, le toucher, le caresser, le bouchonner et enfin lui faire accepter de porter une selle. C’est formidable ! »
En disciplinant l’animal, l’homme se discipline lui-même.
Steven Kurutz – International New York Times – 6 octobre 2017
Selon l’Ifop, en janvier 2017, un Français sur sept (et 27% des moins de 35 ans) a déjà sacrifié au rituel du tatouage contre un sur dix en 2010. Cet engouement pose bien sûr question quant aux dangers qu’il y a à transpercer ainsi la barrière cutanée pour déposer dans l’épiderme des encres d’origine diverses, naturelles ou chimiques.
On a vite identifié les risques immédiats, écartés en principe moyennant quelques précautions et le recours à un patricien éprouvé : infections locales ou virales, réactions allergiques, effet rebond en cas de maladie de peau, stimulation des grains de beauté…
Mais on continue à découvrir régulièrement des effets insoupçonnés de plus ou moins long terme. D’après une étude menée sur des personnes tatouées également des deux côtés du torse, une peau tatouée transpire deux fois moins qu’une peau vierge. Pas gênant quand il s’agit d’une discrète virgule, plus quand la peau est largement recouverte : la sueur, via l’évaporation, est un régulateur thermique.
Autre fait nouveau, qui concerne les adolescents et les jeunes adultes sous traitement anti-acné à base de rétinoïdes : la cicatrisation des micro-plaies serait plus lente.
Et le plus inquiétant : on vient de révéler que certains pigments présents dans les encres – titane, aluminium, chrome, fer, nickel, cuivre – migrent profondément dans la peau. Le Dr. House le savait déjà, qui expliquait ainsi les souffrances intolérables subies par l’un de ses patients au moment de passer à l’IRM. Pire, dans certains cas, ces éléments pénètrent sous forme de nanoparticules jusqu’aux ganglions sympathiques qui jouent un rôle clé dans le système immunitaire.
Claude Vincent – Les Echos – 6 octobre 2017
Nous observions en octobre que le bureau de tabac est un espace onirique, alimenté par les espoirs fous et les cruelles déceptions de la foule qui le fréquente, un lieu où s’entrechoquent avec violence, en général dans le silence, les passions et les angoisses les plus dévorantes.
Alors qu’un heureux gagnant vient de remporter 759 millions de dollars, la presse américaine s’éveille aux deux scandales des loteries : c’est une source de revenus imparfaitement éthique (c’est le moins que l’on puisse dire) pour l’État, d’un montant annuel de 70 milliards de dollars ; d’autre part, c’est un impôt volontaire prélevé sur les plus pauvres, qui en sont les principaux clients. Enfin, la totalité de la somme engagée n’est pas redistribuée : sur 1 dollar dépensé par les acheteurs, il ne leur reviendra de toute manière que 52 cents…
D’après certaines études, pour pouvoir s’acheter des billets de loterie, les populations défavorisées réduisent de 3% leur consommation alimentaire et amputent de 7% les dépenses concernant le logement. De fait, conclut l’une de ces études, « la loterie est une taxe régressive », qui priverait ses assujettis d’une partie de leur revenu en contrepartie d’un retour très aléatoire.
Arthur C. Brooks – The Wall Street Journal – 30 mai 2017