Prospective - Edito : Si non é vero...

De beaux films, basés sur des faits réels, sont récemment sortis : L’échange des princesses, Pentagon Papers, Les heures sombres, Stronger, Le 15 h 17 pour Paris. Ils ont en commun le fait que nous n’avons pas de doute quant à la véracité des faits et des personnages qu’ils mettent en scène. Ces histoires nous plaisent parce que nous savons qu’elles sont vraies et l’art du cinéaste les rend encore plus merveilleuses. De même que nous voyons mieux les couchers de soleil sur la mer depuis Monet.

La force de la vérité nous rend par contraste plus sensibles aux risques que présente la multiplication des fake news ou, pour reprendre le mot du chercheur en informatique américain David Ovadya, une prochaine « infocalypse ».

Le mois dernier, nous avons été nombreux à nous faire piéger. Il ne s’agit pas ici des indélicatesses sexuelles, réelles ou supposées, de tel ou tel mâle en vue, mais d’une sombre histoire de squat dans une résidence de la région parisienne. Serge, 60 ans, propriétaire de son logement depuis 1992, s'était juste absenté pour un petit séjour à Nice auprès de son père malade. À son retour, il n'a pas pu rentrer chez lui : un couple et leurs deux enfants étaient installés dans l'appartement depuis trois mois, sans que ni les voisins, ni les gardiens ne s’en inquiètent. Ils étaient entrés par effraction, avaient changé les serrures et modifié le contrat EDF. Ils ne se sont fait repérer que lorsque le père de famille s’est fait passer pour le propriétaire auprès du syndic afin de recevoir un badge d’accès au parking.

Publiée par Le Parisien, la mésaventure a été reprise notamment sur la Toile. Comme d’autres, j’ai diffusé le lien :

http://www.europe1.fr/faits-divers/hauts-de-seine-il-retrouve-son-appartement-occupe-par-des-squatteurs-3568643

Je me demandais si j’allais signer la pétition et l’appel aux députés pour dénoncer le scandale : les squatteurs ayant été démasqués plus de 48 h après leur installation, ils pouvaient, paraît-il, invoquer légalement le droit au logement. Et puis, moi aussi, j’ai appris ce qu’il en était : deux escroqueries conjuguées. D’un côté celle de locataires indélicats qui avaient cessé de régler leur loyer. De l’autre, celle d’un propriétaire qui pouvait d’autant moins s’en débarrasser qu’il n’avait pas établi de bail et avait donc imaginé ce subterfuge pour les mettre à la porte.

On l’a d’autant mieux cru que des faits similaires, mais réels, se sont effectivement produits ailleurs. Mais sans qu’ils aient fait eux le buzz ! Finalement, la force d’un gros mensonge, c’est parfois de mettre en évidence ce qu’on ne voyait pas jusque-là.

Si non é vero é bene trovato !

Hélène Braun

La vérité s’ils mentent

Nous répétons à nos enfants qu’il est très vilain de mentir. Nous leur parlons du nez de Pinocchio qui s’allongeait à chaque mensonge, nous leur racontons que le garçon qui criait faussement au loup fut dévoré quand il fut attaqué pour de bon parce que personne ne le crut. Et tous les petits Américains connaissent la légende de George Washington et du cerisier : enfant, il aurait abattu un cerisier que son père aimait beaucoup. Lorsque ce dernier demanda qui avait fait ça, George dit « Père, je ne peux vous mentir, c’est moi. » Touché par sa sincérité, son père ne le punit pas. Washington était d’ailleurs surnommé « l’homme qui ne pouvait mentir ».

Il n’est pas question de nier les vertus de la franchise. Cependant, le mensonge n’a pas que du mauvais. De nombreuses expériences menées par des psychologues de l’enfance depuis les années 1980 montrent que ce sont souvent les enfants les plus intelligents qui mentent pour dissimuler une désobéissance ou une bêtise. Ceux qui mentent très tôt, dès l’âge de 2 ans, sont les plus intelligents et seront plus tard les plus doués et les mieux adaptés à la vie sociale. Inversement, ceux qui sont atteints de trouble comme l’hyperactivité ou l’autisme sont incapables de mentir. En grandissant, les enfants apprennent à faire la part des choses : après 16 ans, si on leur demande de jurer de dire la vérité, ils le font généralement.

Et si, lisant ces lignes, vous vous inquiétez parce que vos rejetons semblent trop honnêtes, vous pouvez leur enseigner une salutaire duplicité à l’aide de jeux de cartes et de jeux de rôles.

Alex Stone – International New York Times – 5 janvier 2018

Père, ami, amant, enfant… à la carte

Yuichi Ishii est un homme charmant et séduisant de 36 ans.  Son métier : jouer toutes sortes de rôles.  Mais pas sur scène, dans la vraie vie. Selon votre demande, il peut devenir votre meilleur ami, votre père, voire un proche éploré à des funérailles. Family Romance, la société qu’il a créée au Japon il y a huit ans, propose à ses clients les services d’acteurs professionnels capables de tenir n’importe quel rôle dans leur vie privée.

Avec un catalogue d’environ 800 comédiens, comprenant aussi bien des enfants en bas âge que des personnes âgées, l’agence se flatte de pouvoir parer à pratiquement toutes les situations imaginables. Selon son fondateur, Family Romance aide les gens à combler les absences insupportables ou ce qu’ils considèrent comme des failles dans leur vie.

Un journaliste américain l’a rencontré à Tokyo :

- Comment vous est venue l’idée de cette agence ?

« J’avais une amie mère célibataire qui voulait inscrire son fils dans une école privée, mais ses demandes avaient été rejetées parce qu’il n’avait pas de père. Pour protester contre cette injustice, je me suis présenté comme le père.

« Puis une mère célibataire a fait appel à moi pour jouer le père de sa fille de 12 ans, qui était harcelée parce qu’elle n’en avait pas. Depuis, je joue ce rôle pour 20 000 yen (150 €) pour quatre heures + les frais. Je lui offre à déjeuner, l’emmène dans les parcs d’attraction et les magasins. J’écoute ses confidences. Je suis le seul père que cette enfant connaisse. Je lui ai expliqué que je ne pouvais pas la voir en permanence car j’ai une autre famille. C’est un travail, je suis son père pendant une durée déterminée. Mais j'ai quand même honte de mentir…

« Des employés de mon agence ont eux-mêmes recours à des acteurs pour chanter leurs louanges en présence de gens qu’ils veulent impressionner. Moi-même, quand je dois intervenir dans des séminaires, j’emmène des figurants pour étoffer l’assistance ».

- Et qui vous dit que votre vraie famille n’est pas une famille de location ?

« Bonne question ! Je n’en ai aucune certitude ».

Roc Morin – The Atlantic (Washington) – 7 novembre 2017

Repris par Courrier international – 18 janvier 2018

Des tigres et des hommes

Égaré dans les rues de Paris, un tigre échappé d’un cirque a été abattu. Très vite. Trop vite ? Aussitôt des voix se sont élevées pour dénoncer la présence d’animaux dans les cirques et exiger qu’on retire  d’une émission de télévision deux tigres qui y figurent, plutôt paisiblement, depuis de longues années.

Le refus d’utiliser les animaux dans les spectacles au motif qu’ils sont maltraités, humiliés, dénaturés est devenu un thème récurrent du débat public. Le dressage pour les espèces domestiques, serait toujours plus ou moins une maltraitance. Pour les espèces sauvages, les conditions de captivité et de vie artificielle constitueraient autant de brimades contre nature.

La compassion envers les tigres marque une limite et en dit beaucoup sur notre époque. Jamais, en effet, de l’Antiquité au XXe siècle, le tigre n’a été dépeint comme une victime. Au propre comme au figuré, il a toujours incarné la rage, la violence, l’agressivité, la cruauté, la menace de mort.

Naguère, l’évidence première était de protéger les humains contre les tigres. À présent, on exige de protéger les tigres contre les humains.

Protéger les tigres est certes une noble cause. Mais il est plus important, plus utile, plus urgent de protéger les Yézidis, les Rohingyas, les humains vendus comme esclaves en Libye, plus généralement tous nos semblables, nos frères, qui sont chaque jour, partout dans le monde, asservis, exploités. Et dont les vies sont dévorées. Parce que l’homme est un tigre pour l’homme.

Roger-Pol Droit – Les Echos – 2 décembre 2017

La pandamania

Les pandas font l’objet d’un culte planétaire. On fait la queue pour les apercevoir dans les zoos, ils sont les héros de dessins animés, mangas, jeux-vidéo et l’image du panda représente le logo du WWF.

Au premier regard, la sympathie qu’engendrent ces drôles de jouets blanc et noir semble facile à comprendre. Peluches vivantes, ils attendrissent. Animaux inoffensifs, ils rassurent. Représentants d’une espèce vulnérable et menacée, ils mobilisent. Devenus instruments de la diplomatie chinoise, ils sont respectés.

Ces éléments ne suffisent pas à expliquer cette fascination. Mieux vaudrait considérer cette « pandamania » comme un symptôme.

Elle exprime d’abord la mutation profonde de notre imaginaire de la nature. Jadis, les grandes figures animales qui hantaient nos rêves collectifs étaient le loup, le lion, l’ours : carnivores, puissants, dangereux. Nous devions nous en protéger. Maintenant notre devoir est de préserver l’impuissant panda des risques que nous faisons peser sur sa survie. Les prédateurs d’autrefois étaient effrayants, la peluche d’aujourd’hui est émouvante. Au lieu d’avoir peur du loup, les enfants câlinent le panda. On est passé du terrible au mignon, de la crainte à la préservation.

Et puis, derrière cette métamorphose de notre regard sur la vie naturelle, se profile aussi une image moins visible de l’existence humaine. En choisissant de glorifier le panda, on privilégie subrepticement un certain type de vie. Indifférent à tout, ennuyeux, rondouillard, le panda passe quatorze heures par jour à mâcher du bambou. Il se déplace peu, demeure inactif la plupart du temps et se singularise par une activité sexuelle extraordinairement réduite. Rassemblez ces traits et demandez-vous si le panda ne serait pas … l’avenir de l’homme. 

Surpoids, masticage incessant, carnivore devenu végétarien par mutation génétique, indifférence générale, somnolence fréquente, inaction permanente, anaphrodisie récurrente. Aucune activité, sportive, intellectuelle, sexuelle. Pas de désir, ni de relation aux autres. Serait-ce vraiment notre idéal ?

Roger-Pol Droit – Les Echos – 2 février 2018

Les animaux héros de guerre

Peluche vivante

Lors de la Première guerre, un canard nommé Sergeant Bill a sauvé la vie de trois soldats canadiens en les entraînant dans une tranchée pleine de boue quelques secondes avant l’explosion d’une bombe. Durant sa carrière militaire, Bill fut par ailleurs mis aux arrêts pour avoir mastiqué des objets appartenant à l’armée. Comme ses compagnons humains, il a souffert du « pied de tranchée », un ulcère atteignant les pieds des soldats soumis trop longtemps à l’humidité, au froid et à la saleté.

Durant la Seconde guerre, Siwash, un autre canard qui aimait boire de la bière avec les Marines dont il était la mascotte, fut applaudi pour avoir participé activement au débarquement américain dans le Pacifique en se battant contre un coq japonais.

L’animal le plus célèbre de la Seconde guerre est un pigeon voyageur, GI Joe, dont la mission permit de sauver plusieurs milliers de vies : ayant parcouru plus de 30 km en 20 mn, il apporta juste à temps le message enjoignant aux forces alliées de ne pas bombarder un village italien qui venait d’être repris par les Britanniques.

GI Joe reçut la Médaille Dickin, instituée au Royaume-Uni en 1943 pour honorer les actions héroïques d’animaux en temps de guerre. À ce jour, en ont été également été récipiendaires 32 pigeons, 32 chiens, 4 chats et 1 cheval.

Le plus récent médaillé est Mali, un chien malinois, gravement blessé en 2012 par un éclat d’obus en Afghanistan alors que, bravant le feu, il alla détecter, pour le compte des  forces britanniques, les ceintures explosives que portaient des terroristes. Il a aujourd'hui 8 ans et travaille au sein du Corps des Vétérinaires de sa Majesté, où il remplit de nombreuses tâches, contribuant notamment à la formation des maîtres-chiens.

Dan Bilefsky – International New York Times – 20 novembre 2017

Les derniers des Amérindiens

Au Brésil, cachées au cœur de la forêt amazonienne, survivent encore des tribus indigènes ayant échappé aux massacres qui ont suivi l’arrivée des navigateurs portugais et espagnols en XVIe siècle. La Constitution brésilienne de 1988 a reconnu leur droit à leurs modes de vie traditionnels, au sein d’une nature préservée et à l’écart de la civilisation occidentale. Les anthropologues et les scientifiques de la Funai (Fondação Nacional do Indio) qui, jusque-là, s’évertuaient à mieux les connaître, furent investis d’une nouvelle mission : ne plus les contacter, identifier les territoires où elles vivaient et installer des avant-postes pour en interdire l’accès.

Grâce à ces mesures ainsi qu’à une topographie inhospitalière, la vallée du Javari, à l’ouest vers le Pérou, était demeurée un sanctuaire pour seize tribus indigènes. (On le savait pour les avoir aperçues depuis des hélicoptères).

Hélas, des coupes budgétaires sévères ont poussé les autorités à congédier un grand nombre du personnel de la Funai et à fermer un tiers des avant-postes. Du coup, des orpailleurs se sont engouffrés vers l’amont des rivières. Certains se sont livrés à la chasse normalement interdite des animaux sauvage (« la viande de brousse »)… voire à la chasse aux indigènes ! En août 2017, des chercheurs d’or ont assassiné une dizaine de membres de la tribu des Flecheiros (« lanceurs de flèches » en portugais), les ont découpés en morceaux et jeté leurs restes dans le fleuve. Puis, ils s’en sont vantés dans un bar, exhibant les trophées, pagaies en bois sculpté et sac utilisé pour la collecte de nourriture, récupérés sur les cadavres de leurs victimes. Le récit de leurs actes de « bravoure » est parvenu aux oreilles des autorités locales et ils ont été mis en examen.

Le Brésil est à la croisée des chemins : continuer à étrangler lentement la Funai, prétendre ne rien voir pour préserver des intérêts à court terme, laisser disparaître les derniers vestiges de l’Amérique d’avant les Européens ; ou bien, appliquant ses lois édictées à cette intention, se faire le gardien d’une tradition culturelle et d’une diversité biologique sans égales.

Lire à ce sujet, l'édito de février 2017: le bien, le souhaitable, le vrai

Scott Wallace – International New York Times – 27 septembre 2017
Nathan Weber – www.demotivateur.fr

« Le lac où la truite sauvage se pêche avec des hameçons » et autres noms de lieux

Le Canada rebaptise les provinces, les rivières, les édifices publics qui portent le nom de héros de l’époque coloniale. Il en sera ainsi, par exemple, de la rivière Cornwallis en Nouvelle-Ecosse, d’après un gouverneur ayant offert une prime en échange des scalps des Micmacs et des très nombreux lieux nommés en hommage à Jeffery Amherst, célébré pour avoir permis aux Britannique d’imposer leur suprématie sur l’Amérique du Nord, mais … qui avait traité les Indiens qui se battaient aux côtés des Français de « race exécrable » qu’il fallait traquer à l’aide de chiens et éradiquer totalement.

Il s’agit ensuite de trouver un nom amérindien, comme en ont déjà près de 30 000 des 350 000 toponymes canadiens, à commencer par Canada, qui vient de l’iroquois « village ». En 2011, 358 noms autochtones ont été ajoutés au registre national, et 600 en 2017.

C’est là que commencent les difficultés et les querelles.

Quand, en 2001, la municipalité d’Ottawa - qui porte le nom d’une nation amérindienne, les Ouatouais ou Odawas - a fusionné avec les communes voisines, elle s’est retrouvée avec 80 rues qui avaient le même nom qu’une autre rue au moins. Il a fallu attendre des années pour que l’une des nombreuses River Streets d’Ottawa soit renommée Onigam Street (« portage » en algonquin).

Au conseiller municipal d’Edmonton objectant que Maskekoshihk Trail (« « la piste du peuple de la terre de la médecine ») était plus difficile à prononcer que 23e Avenue, les représentants de la nation Cree ont rétorqué qu’ils devaient eux-mêmes se débattre avec des noms imprononçables depuis l’arrivée des Européens. Le plus long toponyme du Canada vient de la langue cree, c’est : Pkwachnamaykoskwaskwaypinwanik, « le lac où la truite sauvage se pêche avec des hameçons ».

Calgary porte le nom d’une baie en Ecosse. Les Nakodas voudraient que cette ville, traversée par la rivière Elbow (« coude » en anglais), soit rebaptisée Wishispa Oyade, « ville du coude ». Les Pieds-Noirs préfèreraient Mohkinstsis-aka-piyosis, « les nombreuses maisons sur le coude ».

En 2015, submergées par les suggestions pour renommer le fleuve Mackenzie, les autorités des Territoires du Nord-Ouest ont résolu le problème en les acceptant toutes. On peut maintenant l’appeler au choix Dehcho, Deho, Kuukpak, Nagwichoonjik (« la Grande Rivière » dans différentes langues).

The Economist (Londres) – 4 janvier 2018 – repris par Courrier international – 1er février 2018

Un mannequin-robot pour habiller toutes les tailles

Juriste en propriété industrielle, Audrey-Laure Bergenthal devait poursuivre sa formation dans une université américaine. Elle décide de changer de voie en entendant sa mère se plaindre de ne pas trouver de vêtements à sa taille. Elle se lance alors dans un BTS stylisme-modélisme, travaille dans le prêt-à-porter, puis lance sa petite entreprise, Euveka, à Valence dans la Drôme.

Le mannequin de couture n’a pas évolué depuis des décennies. Pour répondre à la diversité des morphologies qui changent selon l’âge et le pays où l’on vit, pour aider tous les frustrés du prêt-à-porter excédés de ne pas trouver de vêtements dans la bonne taille, elle invente le mannequin de demain pour les professionnels du textile. Il est connecté et évolutif : on entre les mensurations du client dans l’ordinateur et le mannequin change de forme pour prendre les dimensions exactes de la personne.

La mise au point a nécessité près de six ans de R&D avant de voir le jour il y a un an et demi. Des investisseurs se sont intéressés à l’entreprise qui est passée de 3 à 27 salariés et dont le carnet de commandes est bouclé pour 2018. « J’ai créé l’outil dont je rêvais », a dit Audrey en recevant l’Innovation Award 2018 au CES (Consumer Electronic Show) de Las Vegas.

Au printemps prochain, quand seront livrés les premiers mannequins-robots, ce sera enfin le débutn de la « déstandardisation » des tailles et la personnalisation industrielle de la mode.

Lire à ce sujet, l'édito d'août 2017: Où se situe l’humain dans l’homme ?

Les Échos – 12 janvier 2018

Mettez-vous au vert !

Même si on n’y met pas les pieds, un îlot de nature dans la ville peut être bénéfique pour notre organisme, comme en témoignent de nombreuses études scientifiques. La première a été en 1984 dans la revue Science. Roger Ulrich, professeur d’architecture suédois spécialisé dans la construction d’hôpitaux, a suivi la convalescence de 46 patients opérés de la vésicule biliaire. Une moitié bénéficiait d’une chambre donnant sur des arbres, l’autre sur un mur de briques. Devinez quel groupe a consommé moins d’antalgiques, et a quitté l’hôpital en moyenne un jour plus tôt !

Depuis, des centaines d’études ont confirmé l’effet salutaire des espaces verts urbains.

Pour la santé mentale : diminution des symptômes anxieux ou dépressifs, meilleur développement cognitifs, diminution des troubles de déficit de l’attention…

Pour la santé physique : réduction des risques de diabète, des maladies cardio-vasculaires, des accouchements prématurés… En France une hausse de 10% des espaces verts autour des habitations pourrait permettre d’économiser chaque année 56 millions d’euros sur les traitements de l’asthme et 38 millions sur ceux de l’hypertension.

Les bénéfices sanitaires des espaces verts relèvent d’au moins quatre mécanismes : ces environnements permettent une moindre exposition à la pollution de l’air, aux bruits et à la chaleur des villes ; ils diminuent le stress ; ils facilitent la cohésion sociale ; ils favorisent l’activité physique.

Sandrine Cabut – Le Monde – 7 janvier 2018

Hygiène et propreté

Se laver les mains à longueur de journée n’est pas de l’hygiène ; se les laver ou se les désinfecter au bon moment, oui.

« Hygiène » vient du grec « en bonne santé ». Ce mot signifie généralement hygiène microbienne, un ensemble de mesures visant à éviter les infections. Par exemple : s’écarter de plus de 1,5 m d’un grippé qui tousse et qui, lui, devrait porter un masque ou au moins se mettre la main devant la bouche ; ne pas serrer les mains en période d’épidémie de gastro-entérite ; se laver ou se désinfecter les mains avant de manger et, bien sûr, après être allé aux toilettes…

Les mesures prises par les personnels des hôpitaux ont permis de diminuer les maladies nosocomiales. Mais l’effort doit être poursuivi : en France, 5 à 7% des patients hospitalisées en sont encore atteints.

Au temps du choléra, l’hygiène concernait également la salubrité et la propreté des logements. Nous n’en sommes plus là dans nos pays. La majorité des bactéries de l’environnement ne sont pas pathogènes ; au contraire, elles nous sont souvent bénéfiques.

Le nettoyage et la désinfection des cuisines, salles de bain et toilettes privés ne sont pas des mesures d’hygiène : cela n’évite aucune infection. La toilette corporelle n’en est pas une non plus, pour la même raison. Les termes de « produits d’hygiène », « papier hygiénique », « serviettes hygiéniques », etc. sont des contresens. Tout cela relève simplement de la propreté ou de l’évitement des odeurs désagréables. On peut être propre et avoir une mauvaise hygiène, dès l’instant où cette propreté est obsessionnelle et irrationnelle. Nous pouvons même irriter notre peau si nous utilisons des produits agressifs qui favorisent les maladies et nous empoisonnons notre logement en désinfectant les sols et surfaces avec des produits antimicrobiens… toxiques !

Stéphane Gayet, médecin infectiologue et hygiéniste, Hôpitaux universitaires de Strasbourg
Le Monde – 31 janvier 2018

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