On sait l’intelligence étonnante des céphalopodes : poulpes, pieuvres, calamars, seiches. Une étude menée par des chercheuses des universités de Caen et de Cambridge, publiée dans la revue Biology Letters montre que la seiche commune, celle qui abonde dans l’Atlantique, est capable de se projeter dans l’avenir pour choisir son alimentation présente !
Dans l’océan, la seiche, carnivore, n’est pas difficile. Elle avale tout ce qui passe à sa portée : crustacés et petits poissons. Mais sa préférence va aux crevettes. Devant le charmant crustacé, elle délaisse ses autres proies. Jusqu’où peut aller cette sélectivité ? Pour le découvrir, Pauline Billard, doctorante à l’université de Caen, a mis au point un protocole astucieux.
Le midi, deux groupes de seiches se sont vu proposer du crabe. Puis le soir, le premier groupe pouvait déguster des crevettes à volonté, le second devait se contenter d’un régime aléatoire, avec parfois des crevettes, parfois du crabe. En quelques jours, les seiches du premier groupe ont réduit leur déjeuner pour être à même de dévorer davantage de crevettes le soir. Celles du second groupe ont continué à dévorer du crabe. Au bout de seize jours la chercheuse à permuté les groupes. En moins d’une semaine, les seiches ont inversé leur comportement alimentaire.
Deuxième étape de l’expérience : rien de changé le midi ; mais un soir crabes, un soir crevettes. En moins d’un mois, les seiches avaient compris : elles mangeaient un crabe à midi le jour des crevettes, deux crabes le jour des crabes.
Il est difficile de savoir ce que les seiches ont dans leur grosse tête. Mais il semble bien qu’elles soient capables d’une forme d’anticipation.
Et de plus elles font preuve d’une autre compétence : savoir renoncer au plaisir de l’instant pour mieux profiter de l’avenir. Contrairement à la plupart des enfants… et même à beaucoup d’adultes !
Nathaniel Herzberg – Le Monde – 12 février 2020