Imaginons quelqu’un qui, tel  H.G.Wells dans le film « C’était demain », surgi du passé et se retrouvant au XXIe siècle grâce à sa machine à voyager dans le temps, reviendrait dans les quartiers centraux d’une grande ville. Il ne s’y reconnaitrait pas. Certes, le nombre des boutiques fermées l’étonnerait. Mais ce qu’il remarquerait surtout, c’est le changement de la physionomie urbaine. 

Il découvrirait les espaces de travail partagé que des villes surpeuplées et financièrement inaccessibles aux jeunes proposent aux employés et cadres résidant dans la périphérie et que les employeurs ne peuvent plus mettre à leur disposition en nombre suffisant. Ils y jouissent de la tranquillité qu’ils ont rarement à leur domicile. Ces espaces sont souvent assortis de parkings et lorsqu’il faut se déplacer en ville ils sont des bases avancées commodes. Leur présence est complétée par celle de salles de sport (boxe, escalade, aqua-bike …) et de petites boutiques à bouffe qui leur permettent de déjeuner, seuls ou avec leurs collègues. La crise du Covid a accéléré ce processus, mais celui-ci paraît maintenant installé pour la longue durée. Cette description vaut, bien au-delà de la France, pour tous les pays développés et gagne, en France même, les villes moyennes.

Or, ce qui jusqu’à présent faisait l’attractivité des villes, c’était la présence permanente d’une population locale créative, enracinée, c’était le mélange entre tous les aspects de la vie. Les nouvelles populations sont des gens de passage, un passage de courte ou plus longue durée. A l’aller et au retour, ils traversent sans les voir des quartiers où vivent, sous les ponts et dans des tentes, des SDF, des migrants en situation irrégulière, toutes les misères du monde, et aussi des voyous… L’enveloppe physique des professionnels est bien là, leur esprit est ailleurs, leurs yeux sont sur les écrans. Le spectacle de la ville devient un alignement de façades de verre.  

Voilà que le territoire urbain est occupé du matin au soir par une population professionnelle indifférente à l’âme, l’identité, l’histoire de la ville, une population qui est citoyenne ailleurs, ne ressent sur place aucun sentiment d’appartenance et ne participe que de manière minime aux frais généraux de la Cité. Tout annonce la désocialisation. Lorsque le lien social s’efface, c’est l’indéracinable sauvagerie qui prend sa place. 

Evitons de déplorer, de regretter, de condamner. Les espaces de travail partagé rendent de grands services, comme en témoigne leur succès. Ce dont il s’agit, c’est de repenser des problématiques urbaines qui dépassent cette question. 

Une manière différente d’aborder le sujet pourrait consister à différencier ce qui relève du complexe et du compliqué. La ville est l’un des lieux où s’expriment toutes les complexités du monde actuel. Mais la stratégie urbaine des institutions est dégradée par des bureaucraties chaque jour plus invasives et des normes écologiques imposées par des sachants au vulgaire qui ne sait rien. La dépression nerveuse devient la condition commune d’élus locaux soumis de toutes parts à des injonctions pressantes. 

Le temps est compté. Plus personne ne dispose de l’autorité lui permettant d’exercer un véritable leadership intellectuel et pratique. Nous n’avons plus le loisir de disserter face aux problématiques contradictoires et explosives du logement, des normes, du financement, des attentes des différentes générations.

A tous les sens de l’expression, le paysage urbain fait désordre. 

Armand Braun

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