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Chacun de nous, c’est bien connu, est issu d’une seule et minuscule cellule, fusion d’un ovule et d’un spermatozoïde. À partir de là, nous devenons un organisme riche de plusieurs centaines de milliards de cellules, plus que d’étoiles dans notre galaxie. 

Mais les choses sont encore plus compliquées que cela. Ce « je » supposé pur et unique est en réalité un « nous » dont la moitié des constituants ne nous appartiennent pas. Entrelacées à nos cellules humaines vivent autant de cellules microbiennes : des bactéries, des virus, des champignons, des levures… qui influencent notre métabolisme, notre immunité, nos humeurs, nos comportements…

Voici une autre révolution : les mille milliards de cellules humaines qui nous composent ne proviennent pas toutes de notre noyau originel. Elles cachent un ADN différent. Elles proviennent d’autres êtres humains. Nous sommes tous « microchimériques » : mélanger des cellules d’autrui aux siennes ? Chacun de nous est-il donc multiple ? L’emprunt du mot chimère à l’imaginaire fantastique reflète la stupeur et la fascination des scientifiques face à ce qu’ils ont d’abord interprété comme une monstruosité. Une fenêtre s’ouvre sur les destins surprenants de nos microchimères : « des doses infimes peuvent avoir des conséquences majeures. On l’a compris avec les perturbateurs endocriniens, c’est la même chose avec le microchimérisme », explique la chercheuse Nathalie Lambert. 

Pourquoi avons-nous depuis longtemps tant de mal à admettre le microchimérisme ? Notre appétence pour les frontières, qui agissent comme autant de petites digues qui se mettent en travers de la science. Nous édifions des lignes de démarcation dont la nature se joue, de même qu’elle déjoue nos normes. Et si nous n’avions jamais été des individus, des entités autonomes indivisibles ? À l’échelle cellulaire est-il possible que les organismes aient été sélectionnés par l’évolution comme des êtres multiples ? Les écologues le savent depuis longtemps : plus un système est riche d’espèces, plus il saura surmonter les épreuves de la vie. 

Lise Barnéoud, auteur de « Les cellules buissonnières », éd. Premier Parallèle 2023 – Le Monde – 20 septembre 2023

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