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Musiciens, photographes, scénaristes, écrivains, journalistes et programmeurs s’insurgent contre ChatGPT et autres intelligences artificielles génératives (IAG) qui s’entraînent avec leurs œuvres sans leur autorisation et sans les rémunérer. Les éditeurs d’IAG, à l’inverse, questionnent la légitimité des auteurs à revendiquer des droits si les œuvres artificielles ne ressemblent pas aux œuvre initiales. On invoque la liberté d’apprentissage, d’inspiration, de style. L’issue du débat est presque écrite d’avance. Le grand public préfèrera la magie des IAG gratuites aux protestations des ayants droit.

On évoquera les débuts de la photographie, lorsque Charles Baudelaire protestait contre son utilisation artistique.

Ce scénario nous emmène tout droit vers la sous-culture. Les plates-formes musicales sont déjà submergées par les morceaux artificiels. La majorité des contenus sera bientôt artificielle. L’IAG se nourrira de ses propres contenus. Les pertes d’originalité et de diversité seront à la hauteur des gains de productivité et la culture artificielle suivra le triste chemin de la malbouffe. 

Il y a lieu de rappeler le mécanisme conçu par Beaumarchais au moment de la Révolution pour rémunérer les auteurs : comme il n’avait pas les moyens d’identifier toutes les exploitations de leurs œuvres, il fallait des sociétés intermédiaires pour les détecter, collecter une part de la recette et la redistribuer. La solution simple serait d’étendre le principe appliqué aux discothèques, qui consiste à prélever un pourcentage de leur chiffre d’affaire pour le reverser aux musiciens. Le taux de 15%, proposé par l’économiste Ernst Fehr, transpose celui que retiennent les pays producteurs de pétrole sur le baril. 

Les technologies de la blockchain et les nouvelles normes des métadonnées permettent d’authentifier les propriétés et de mesurer leur utilité relative. C’est tout ce qu’il faut à ce contenu pour permettre la rémunération proportionnelle des auteurs. Leurs propriétés deviendront aussi liquides que l’est devenu l’argent au XIXe siècle et la trajectoire de l’IAG se redressera enfin vers un avenir plus désirable.

Vincent Lorphelin – Le Monde – 15 septembre 2023

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