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Il n’y a jamais eu autant de locuteurs francophones : 300 millions à travers la planète. Le français n’appartient pas à la France, pas plus que l’anglais n’appartient à l’Angleterre. Ce chiffre brut masque une grande diversité de variantes régionales ou nationales. Rien n’est plus triste qu’une langue morte, pétrie de règles absconses et d’usages prétentieux.
Utiliser des mots anglais n’est pas un crime : autant on peut s’agacer des usages marketing qui font passer un anglais médiocre pour le summum de la modernité, autant l’adoption naturelle de mots étrangers ajoute des nuances et développe le vocabulaire. Il arrive que des anglicismes soient reconvertis en mots bien de chez nous : ainsi, la nouvelle génération ne trouve plus le « cool » très cool et le transforme en « frais ».
Les Français ne font pas plus de fautes d’orthographe qu’autrefois : notre prurit d’écriture, des mails aux réseaux sociaux, les rend simplement plus visibles. La France continue de changer, rendant chaque jour un peu plus obsolètes les valeurs au nom desquelles on prétend la juger.
La diversité l’enrichit. Diversité des dialectes, mais aussi des registres : smileys et abréviations correspondent à certains contextes et ne nuisent aucunement à un usage plus formel de la langue. Nous sommes inhibés par le poids du jacobinisme hérité d’une Révolution française rêvant d’uniformité sous couvert d’égalité. Pourtant l’ordre spontané vaut mieux que la planification. Nos linguistes critiquent à juste titre les pudibonderies de l’Académie française. Les autres pays francophones ont mis en place des institutions plus souples, dont le rôle est davantage d’observer et de clarifier que de normer et de prescrire. En linguistique comme en économie ou en écologie, le dernier mot doit être accordé aux acteurs eux-mêmes, plus inventifs que tous les comités de sages. La vie prime sur la règle.
Pour faire honneur à la langue de Molière, acceptons ses fourberies et cessons nos tartufferies.
Gaspard Koenig – Les Echos – 31 mai 2023