Il y a quarante ans fut découvert, sur l’île Daphné Mayor dans l’archipel des Galapagos, un pinson géant, « Big Bird ». Il était issu de l’accouplement d’un pinson natif d’une île située à plus de 100 km, le pinson cactus arrivé là par hasard, avec un pinson endémique de taille moyenne. Cette rencontre est à l’origine d’une nouvelle lignée qui compterait aujourd’hui une trentaine d’individus. L’hybridation des deux espèces parentales qui avait donné naissance à Big Bird s’était effectuée en un temps record de seulement deux générations. C’est l’isolement qui aurait favorisé cette spéciation express. 

Darwin considérait qu’il faut de nombreuses générations pour former une nouvelle espèce, mais les scientifiques se rendent compte que l’adaptation peut se produire assez vite, quand et où on s’y attend le moins. Bon nombre d’activités humaines exercent une sélection involontaire des organismes.

En Espagne et en Allemagne, par exemple, sont apparus des rats des villes résistants à un anticoagulant censé les exterminer. A la faveur des échanges marchands, des rongeurs algériens naturellement immunisés sont arrivés et se sont accouplés avec leurs cousins européens. Le crépis, une plante vivace à fleurs jaunes qui surgit dans les failles du bitume, produit moins de graines lourdes au profit des semences légères qui ont plus de chances d’être emportées au loin. 

Yoel Stuart, biologiste à l’université d’Austin, a mené une étonnante expérience au long cours pour comprendre comment un lézard d’origine cubaine était parvenu à coloniser le milieu d’un de ses cousins des Bahamas. Sur une petite île confinée de l’archipel, il a confronté ces deux espèces au comportement alimentaire très différent. Très vite, le colonisateur cubain prend le dessus. Le lézard endémique doit battre en retraite dans la canopée. Les branches ploient sous son poids. Il risque la chute à chaque instant. En seulement 14 ans, le temps d’engendrer 20 générations, il dote sa progéniture de doigts plus longs et de coussinets super glue : « l’évolution peut être observée en quelques générations lorsque la survie et la reproduction en dépendent. »

Les espèces vont-elles de même s’adapter au réchauffement climatique ? Une équipe de l’université norvégienne des sciences et technologies s’est penchée pendant trois ans sur l’évolution de la tolérance thermique du poisson-zèbre. En soumettant six générations de cette espèce d’eau douce à des températures de plus en plus élevées, ils ont bien enregistré une meilleure accoutumance. Mais les modifications génétiques constatées se sont révélées trop lentes pour suivre le rythme de l’évolution du climat.

Paul Molga – Les Echos – 31 mai 2021

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