Je passais mes vacances dans un village de montagne. Tous les soirs à la même heure, un renard surgissait, traversait la rue principale et marchait jusqu’à la maison de la doyenne du village, qui était presque centenaire. Dans une boîte en carton, sur le côté de la maison, deux œufs. Le renard se régalait et repartait. La fermière et le renard avaient conclu un pacte : elle lui donnait des œufs, il ne touchait plus à ses poules. Cette collation n’empêchait pas le renard de chasser par ailleurs les campagnols et ses autres proies habituelles.
Un soir, le renard et moi rencontrâmes le clergyman anglais en résidence pour l’été afin de célébrer dans l’église anglicane la messe pour les touristes britanniques. Je lui expliquai le « deal » et il s’exclama : « entente cordiale » !
Entente cordiale ! Voilà peut-être le secret des futures relations entre l’humanité et la faune sauvage. Dans cette perspective, nous avons encore bien des progrès à accomplir. Témoin les deux autres histoires que je vais vous raconter.
Dans un parc parisien, quelques étangs accueillent des oiseaux aquatiques, cygnes, canards, foulques et oies bernaches. Ce matin-là, il y avait si peu de visiteurs qu’un héron avait pris la pose au bord de l’étang couvert de nénuphars. Un groupe de foulques macroules barbotaient paisiblement. Soudain, comme répondant à un signal, la troupe entière traversa l’étang à toute allure en courant à la surface de l’eau et attendit de l’autre côté. Le héron s’envola nonchalamment. Arriva alors une petite dame aux cheveux rouges qui se mit à lancer du pain aux foulques. « Je viens tous les jours, me dit-elle. J’habite loin et ça me prend toute la matinée. Mais je ne peux pas m’en empêcher, c’est ma drogue… ». Le gardien s’approcha et je crus qu’il allait siffler. Il lui fit un signe amical.
Quelques années plus tard, enfin, de grands panneaux furent apposé à l’entrée du parc et aux abords de chaque étang : « Si vous aimez les canards, soyez gentils avec eux ; ne leur donnez pas à manger. Ils pêchent eux-mêmes la nourriture variée dont ils ont besoin : plantes aquatiques, insectes, crustacés, mollusques, petits poissons. Le pain est un poison pour eux. »
Je n’ai pas été témoin de l’histoire suivante. Je l’ai lue dans un très sérieux quotidien nord-américain qui la rapporte sans réserve, en fait même l’éloge. L’an dernier, des gens qui avaient la chance d’avoir un jardin ou d’habiter à proximité d’un parc, eurent, pour rompre l’ennui du confinement, l’idée d’organiser un spectacle quotidien de l’autre côté de leurs fenêtres : le dîner des écureuils gris. Pour les persuader de consommer sur place et non en « click and collect », ils posèrent noisettes, châtaignes et autres gourmandises sur une planche petite mais solide. Puis la planche devint une salle à manger miniature, avec table, banc, vase avec des fleurs… Et ce fut à qui posterait sur les réseaux sociaux la plus belle déco et l’écureuil le plus gracieux. Bref, pardonnez-moi l’expression, un dîner de cons où, comme dans la pièce éponyme, le plus con n’est pas l’invité mais l’hôte.
Il y a longtemps que l’environnement humain attire les animaux sauvages mais ils ont l’habitude de s’y débrouiller discrètement. La vie n’est pas un dessin animé et les animaux sauvages ne sont pas des animaux familiers. C’est les respecter que de les tenir à distance et les laisser vivre comme ils l’entendent.
Hélène Braun