Dans l’extrême nord-est de la Sibérie, il existe une sorte de réserve naturelle. Des chevaux, bisons, rennes, élans, yacks, chèvres et chameaux y ont été importés afin d’en modifier l’écosystème en remplaçant la forêt par la steppe qui existait il y a 30 000 ans. Les conifères de la toundra sont petits et pas très efficaces pour stocker le CO². En paissant et déféquant, les animaux permettent aux herbes de dominer le territoire et en piétinant la neige ils réduisent son effet d’isolant thermique qui empêche l’air froid de pénétrer et de maintenir le sol au frais. Les gestionnaires de cette arche de Noé espèrent accueillir un jour des mammouths laineux.
C’est le projet fou de l’entreprise « Colossal » fondée par le généticien George Church et de son associé Ben Lamm, qui pensent que le vivant peut être programmé aussi facilement qu’un code informatique. Pour « réparer le dommage fait par l’homme à la nature », ils vont appliquer à cette espèce disparue les techniques d’édition du génome : comparer le génome du mammouth à celui de l’éléphant, identifier les différences, puis modifier une cellule d’éléphant en lui ajoutant certains gènes de mammouth, notamment la trentaine qui jouent directement sur la résistance au froid et donnent des petites oreilles, un crâne en dôme, une couche de gras supplémentaire, un manteau laineux, etc.
Après avoir créé la cellule hybride éléphant-mammouth, il faudra la transformer en embryon avec un ovocyte d’éléphant d’Asie. Mais ces derniers sont rares car l’espèce a diminué de moitié depuis 1986. Qu’à cela ne tienne : on en fabriquera à partir de cellules de peau. Même challenge pour trouver une mère porteuse éléphante d’Asie, dont la gestation au demeurant est de 20 à 25 mois. Autre réponse technique : des utérus artificiels !
Les premiers bébés « mammophants » pourraient voir le jour dans quatre à six ans et être réintroduits dans la nature sept ans plus tard.
Réintroduire une espèce dans un environnement ayant changé pendant plusieurs millénaires n’est pas anodin, avec des conséquences que l’on ne peut prévoir.
Et puis à quoi bon se donner tant de mal pour ressusciter une espèce disparue ? Pourquoi ne pas concentrer ses efforts sur les espèces existantes menacées ? Et cette surenchère technique ne crée-t-elle pas un biais moral en répandant l’idée qu’il n’est pas grave de détruire l’écosystème puisqu’on peut tout réparer ensuite ?
Anaïs Moutot – Les Echos – 29 avril 2022
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