Depuis tout petit, Charlie passait son temps à jouer à des jeux vidéo. Longtemps, cela ne posa apparemment pas de problème. Mais quand il entra à l’université, c’est devenu un drame : il séchait les cours et jouait de plus en plus. Sa petite amie le quitta, il échoua à ses examens, retourna chez ses parents. Il livrait des pizzas le jour, jouait la nuit, restait constamment seul. Ses anciens copains avaient tous quitté la région. Et lui ne se rendait pas compte de ce que sa vie avait d’anormal. À 24 ans, il décida de changer de métier et de ville. Mais ayant emporté son démon intérieur avec lui, il tomba dans le chômage, les dettes, la dépression, décida de se suicider. C’était au printemps 2015. C’est alors que ses parents lui rendirent visite dans son taudis, encombré de vêtements sales, d’ordures et de boîtes vides de pizza.

Sa mère appela tous les centres de soins aux addictions. Partout on lui rétorqua qu’on ne pouvait rien pour son fils. Jusqu’au jour où son interlocuteur interrompit ses sanglots pour lui dire qu’il avait vaguement entendu parler du programme reStart, dans l’État de Washington. Effectivement, c’était ce qu’il fallait. Mais le traitement initial de 45 jours coûtait 22 000 $, que ne couvrait pas l’assurance santé, car à l’époque l’addiction aux jeux n’était pas reconnue comme une maladie. Ils hypothéquèrent leur maison et Charlie put commencer le traitement.

Les jeux vidéo représentent un tiers de tous les téléchargements. Ils sont devenus le loisir le plus populaire et le plus lucratif, loin devant le cinéma, la télévision, la musique, les livres. Quelque 2,5 milliards de personnes y jouent dans le monde. Parmi elles, de vrais drogués. En juin 2018, l’Organisation mondiale de la santé a reconnu l’addiction aux jeux vidéo comme une maladie, au même titre que celle à la cocaïne ou aux jeux d’argent. C’est une maladie quand il y a une perte de contrôle, que le jeu prend le pas sur tout le reste, autres centres d’intérêt, autres activités, sommeil, repas.

Les jeux vidéo sont conçus pour être addictifs. Ils offrent aux plus fragiles un monde virtuel où l’échec n’existe pas, où le moindre effort se voit récompensé. Un monde bien plus séduisant et plus facile que le monde réel.

Depuis 2015, Charlie n’a pas touché à un jeu vidéo. Il a des livres et un chien.  Il habite dans la communauté de reStart, une belle maison entourée de jardins et de forêts. Il a appris à marcher dehors, à s’assoir autour d’un feu de camp, à discuter avec ses camarades… Un jour peut-être, il partira dans le vrai monde.

Ferris Jabr – International New York Times – 29 octobre 2019

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