Le 13 juin 1564, le jeune roi Charles IX, accompagné de sa mère Catherine de Médicis fit son entrée à Lyon que la peste ravageait. On mourait partout, dans les rues comme chez soi. Les cimetières étaient pleins de morts et d’agonisants entassés ensemble. Les fossoyeurs en habits jaunes jetaient les cadavres dans le Rhône.
Ambroise Paré, le père de la chirurgie moderne, figurait parmi le cortège royal. À leur retour à Paris, Catherine de Médicis lui demanda de rédiger un traité de la peste. Dans celui-ci, il décrit une ville à l’abandon, exemple d’une société sans État, où tout manque, nourriture, soins, charité, où les magistrats ont fui et la justice avec eux, où les prêtres eux-mêmes ont déserté, où règnent l’anarchie, le crime, le chacun pour soi, où on lapide les médecins, les apothicaires et les barbiers choisis par les autorités pour soigner les malades et qu’on accuse d’infecter les gens sains.
Face au coronavirus, rien de cet abandon, mais une mobilisation mondiale. Retour des frontières sans doute, des nations peut-être, et pourtant, plus que jamais, le monde est un village.
Confrontées à cette catastrophe, les autorités civiles et militaires réagissent, comme le corps médical, avec une conscience aiguë de leurs devoirs.
Au temps d’Ambroise Paré, on invoquait l’ire de Dieu, aujourd’hui, on attend tout du pouvoir. La froide raison qui rend les citoyens tributaires des décisions de l’exécutif sous le contrôle des autorités sanitaires, a totalement exclu les puissances de l’esprit, source du cœur, du courage, où les individus se prennent en charge pour affronter leur détresse et la mort. Autrefois, on mourait en famille, au milieu des siens, en présence d’un prêtre. C’était un moment collectif. On ne s’habituait jamais, mais on acceptait. La mort était un choc, un étonnement, pas un scandale. La modernité positiviste a changé la donne. Trop souvent les murs blancs remplacent les familles et les appareillages médicaux les prêtres. On vit plus longtemps, mais on meurt plus seul.
Si le coronavirus, en son absurdité, possédait une vertu, c’est de réveiller en nous le sens du tragique, seule façon de nous obliger à redéfinir avec méthode le monde où nous voulons vivre.
Jean-Michel Delacomptée, auteur de nombreuses biographies, dont celle d’ « Ambroise Paré – La Main savante » (2007) – Le Figaro – 31 mars et 10 mai 2020