Vous l’avez certainement observé : même après une longue route, on ne doit plus nettoyer régulièrement son pare-brise de tous les petits insectes volants qui s’y écrasaient autrefois. 

En Europe, 80% des insectes ont déjà disparu. C’est une catastrophe. Une multitude d’organismes ne pourraient survivre à leur absence : tous les oiseaux, chauve-souris, poissons d’eau douce, amphibiens, reptiles, etc. qui s’en nourrissent ; toutes les plantes à fleur qu’ils pollinisent. 

Cette catastrophe passe inaperçue. Les grands problèmes environnementaux globaux (le réchauffement climatique, l’amincissement de la couche d’ozone, les pluies acides) ont été anticipés par la communauté scientifique ou ont été détectés et compris suffisamment tôt pour pouvoir être gérés avant de produire des effets irréversibles. Ni l’ampleur, ni la rapidité, ni le caractère systémique de l’écroulement des insectes n’ont au contraire été anticipés par les scientifiques. Ils mesurent, stupéfaits, des dégâts irréversibles déjà commis.

Les administrations qui encadrent et régulent les aménagements du territoire, les développements industriels, les systèmes alimentaires et agricoles procurent à la société un sentiment de contrôle rassurant. C’est en particulier le cas pour les centaines de pesticides autorisés – cause majeure du déclin des insectes sous nos latitudes – dont les usages sont strictement régulés pour ne produire, et théorie, que des dégâts sanitaires et environnementaux à la fois localisés, acceptables et contrôlables. L’effondrement des insectes nous renvoie à cette cruelle réalité : en vérité, nous ne contrôlons rien du tout. 

Stéphane Foucart – Le Monde – 12 février 2023
Dave Goulson, professeur à l’université du Sussex – « Terre silencieuse. Empêcher l’extinction des insectes » – éditions du Rouergue – 2023

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