Dans un manuel de « leçons de choses » du siècle dernier l’entomologiste Jean-Henri Fabre relate les étapes de la fabrication de la robe de coton d’une petite fille, depuis les plantations des Etats-Unis jusqu’à la couturière, en passant par les filatures, avec, à chaque fois ce refrain « que de travail pour la petite robe de coton ! »
En 1946, l’économiste américain Leonard Read (1898-1983), crée la Foundation for Economic Education, le premier laboratoire d’idées libertarien. En 1958, il publie un essai, I pencil (« moi, le crayon »). L’histoire commence par un arbre abattu quelque part dans l’État de Washington à l’aide d’une scie dont l’acier est sorti d’une usine sidérurgique on ne sait où, et dont le bois entoure un morceau de graphite probablement miné en Amérique du Sud, avec, à son extrémité une gomme produite à base d’un caoutchouc de Malaisie arrivé là avec les Britanniques. Le crayon jaune a encore besoin d’une colle, d’un fin collier de métal, et de peinture… Ainsi des milliers de personnes à travers le monde, qui ne se connaissent pas, ne parlent pas la même langue, n’ont pas la même culture, participent sans le savoir à la même aventure : la fabrication d’un simple crayon de bois, objet apparemment insignifiant mais très utile.
Le masque de nos personnels soignants pourrait être raconté de la même façon. C’est d’abord du pétrole, foré au Moyen-Orient ou au large de l’Afrique, transporté, raffiné, transformé en élasthanne et en polypropylène. Le premier devient une bobine chez un filateur puis un élastique, sur une machine à tisser, souvent fabriquée chez le suisse Müller et installée dans une autre usine. Le second devient d’un côté un textile non tissé hydrofuge pour les couches extérieures, de l’autre un melt-blown à base d’une fibre de 1 à 2 microns, et chargé électrostatiquement pour la couche filtrante intérieure. Il faut aussi un peu de bauxite, souvent venue des mines d’Australie, pour faire de l’aluminium, laminé en feuillard puis découpé en barrettes de nez. Ce sont tous ces éléments qui convergent vers les usines de découpe et d’assemblage final.
Comme la petite robe, comme le crayon, chaque masque est une addition de multiples savoir-faire et un concentré d’échanges internationaux.
Bertille Bayart – Le Figaro – 6 mai 2020