Les rivières d’Europe ne s’écoulent pas librement. Le courant en est freiné par quelques grands barrages et surtout par toutes sortes d’obstacles : seuils, gués, déversoirs, écluses, canaux de dérivation… Au fil du temps, les moulins, les forges, les scieries ont utilisé des flux dérivés de cours d’eau.  On estime qu’il existe en Europe au moins 1,2 millions d’obstacles difficiles à repérer, mal cartographiés, souvent à l’abandon, qui fragmentent un réseau fluvial de 1,65 millions de km.

Les conséquences sont désastreuses pour la faune et la flore. Ce qui attire le plus l’attention c’est le déclin des poissons migrateurs. Ainsi, il y avait 1 million de saumons dans le Rhin au XIXe siècle, il n’en reste plus un seul.  Mais il n’y a pas que le saumon. Tous les animaux aquatiques sont touchés. Ils ne peuvent plus se déplacer vers leurs frayères, leurs zones d’alimentation, leurs abris. Les lâchers de barrage changent brusquement le niveau des eaux et la température. Les retenues d’eau augmentent la quantité du plancton, changeant l’équilibre des espèces.

C’est pourquoi l’Europe a lancé un grand projet, Amber (Adaptative management of barriers in Europe), autrement dit un inventaire le plus complet possible de ces écueils. Il s’agit notamment d’harmoniser les recensements opérés à sa manière par chaque pays, avec 120 bases de données très différentes. Grâce aux observations du public sur une appli dédiée et au travail de professionnels, les premiers résultats ont été publiés après quatre ans de travail : 2 715 km de 147 rivières ont fait l’objet d’une étude standardisée dans 26 pays. Et Amber continue. Plus on connaîtra ces obstacles, mieux on saura lesquels il est possible de supprimer pour restaurer la biodiversité dans les rivières.
Le combat n’est pas vain. La vie reprend vite si on lui en donne les moyens. Dans le Maine, aux États-Unis, il a suffi d’effacer un barrage pour que les aloses et les esturgeons repeuplent une rivière.

Martine Valo – Le Monde – 18 décembre 2020

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