Les chiffres sont sans équivoque : en 1960, il y avait en France 600 000 cafés ; en 2016, il en restait 34 000. Dans beaucoup d’endroits, leur disparition frappe au cœur la vie de la société. Ils étaient les lieux de la rencontre, des échanges sociaux, des rendez-vous, de dialogues improvisés souvent entre inconnus. Les petits bistros où l’on pouvait rester pendant des heures devant un café sans être importuné se font de plus en plus rares. Emile Zola, Jules Vallès, les peintres de Montparnasse y passaient leurs journées. Modigliani et Soutine aimaient la Rotonde parce qu’ils pouvaient rester longtemps pour le prix d’une seule consommation. 

« L’Europe, ce sont les cafés », écrivait l’essayiste George Steiner. Il évoquait les cafés de Lisbonne, décrits par Pessoa, ceux d’Odessa, fréquentés par les gangsters des romans d’Isaac Babel. On les trouvait depuis Copenhague, décrits par Kierkegaard, jusqu’à Palerme : « dressez la carte des cafés, elle recouvre l’idée d’Europe ». C’est une grande différence avec les Etats-Unis. A l’Amérique classique appartiennent plutôt les bars, tels que Edward Hopper les a peints. 

En France la jeune génération est en train de réinventer le café. Il est souvent associé à des espaces de co-working. Il est une riposte inattendue à toutes ces voix qui confondent transformation et décadence et s’imaginent faire la preuve de leur supériorité en annonçant le déclin de la civilisation. 

Pascal Bruckner, écrivain et philosophe – Neue Zürcher Zeitung – 12 décembre
https://o.nouvelobs.com/pop-life/20170331.OBS7392/les-bars-a-jeux-de-societe-retour-ludique-et-nostalgique-au-materiel.html

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