Alors que l’universel nous paraît si proche et si accessible, il recouvre des positions extrêmement tranchées : « en bas, des racines inextricables, en haut, des arbres qui se dressent comme des lames ». Chaque tradition installe un certain rapport aux autres. C’est seulement lorsque les humains auront une expérience intime de la divergence des points de vue sur le monde que l’universel cessera de leur être étranger.
Dans les religions abrahamiques, c’est l’origine divine de toute créature, la relation verticale de Dieu à l’homme, la validité sans limites de la religion. Dans le bouddhisme, c’est une promesse de la multitude du haut (les dieux, les rois divins…) à la multitude du bas, une logique de foules multipolaires. Dans la pensée chinoise, c’est l’opposition de grandes forces complémentaires, la recherche d’un équilibre fécond et profitable à tous, la conscience que certains sont « sous le ciel » et d’autres non. L’apprentissage et la répétition séculaire et autoritaire de ces schémas mythiques ont façonné les langues, les arts, les villes. Ils ont contribué à la constitution de vastes blocs de croyance qui non seulement déterminent les représentations, politiques, sociales et culturelles mais encore interagissent entre eux. Il ne se trouve aucune conception générale de l’homme en général.
Ces considérations valent pour le long passé, elles valent aussi bien pour le présent. Aujourd’hui encore en Chine il est question des « valeurs de la civilisation chinoise » en réaction aux « valeurs occidentales ».
Autre aspect de la même problématique, la version en langue française de la Déclaration universelle des Droits de l’homme (1948) propose une distinction entre les « êtres humains », expression la plus générique, « l’individu » qui désigne l’être physique et la « personne » qui désigne l’être moral.
Quand on étudie le monde dans sa diversité, on rencontre sans cesse deux grands modèles initiaux, celui qui postule l’existence d’une force transcendante et celui qui privilégie l’immanence et l’autotransformation. Ce sont là des clefs pour approcher une réalité qui devient vraiment différente et qui promeut l’universel. Il est déterminant que se développent de nouvelles formes de liberté exploratoire qui reposent sur des rencontres et des expériences concrètes, fragments de savoirs partiellement aléatoires qui ont cependant l’avantage incomparable de nous appartenir en propre.
Michael Lucken – L’universel étranger – Editions Amsterdam – 2022