Dans un très lointain passé, nos ancêtres étaient, nous dit-on, chasseurs-cueilleurs, puis agriculteurs. Et au fil des siècles, ils ont connu mainte épreuve, conséquences de la dureté de la vie. Ils vivaient dans un environnement constamment ravagé par la guerre et d’autres misères, organisé autour de pouvoirs longtemps féodaux qui, en contrepartie de la relative sécurité qu’ils assuraient, leur imposaient la servitude. Il a fallu des siècles pour que, dans une seule partie du monde, l’Europe, quelques-uns se libèrent des oppressions conjuguées – politiques, religieuses, locales … – et découvrent les idées de démocratie et de liberté.
Serions-nous en train de parcourir le chemin inverse ? Les hommes sont prévisibles et l’on peut anticiper, calculer et orienter leurs comportements. Multiples sont les instruments dont une finalité est de nous asservir : les bureaucraties, la surveillance, les algorithmes, les caisses automatiques, les mots de passe, les chat bots… et toujours : « c’est pour votre bien ». L’addiction aux séries télévisées, la moindre qualité de l’enseignement, la démagogie de ceux qui s’en prennent aux « intellos » … vont dans le même sens. L’enfermement des esprits commence à ressembler à ce qu’il fut pendant les temps d’oppression, à travers l’idéologie et la technologie, désormais aussi des clones de l’humain. La vague est si puissante que l’idée même d’y résister est désormais dérisoire. La servitude nous rassure. Nous ne mesurons pas à quel point elle nous pervertit, elle nous réduit par la passivité.
La protestation conduit inévitablement à évoquer le message de ce gamin de dix-huit ans, Etienne de La Boétie, que l’ethnologue Pierre Clastres décrivait comme « un Rimbaud de la pensée ». Au milieu du XVIe siècle, il se demandait, dans son « Discours sur la servitude volontaire », pourquoi nous obéissons, pourquoi nous acceptons la surveillance constante, pourquoi nous ne cherchons pas vraiment à être libres.
Et si les circonstances de notre temps nous imposaient à la fois de retrouver ce message et de nous en écarter ? Nous en écarter, car la protestation de La Boétie était l’appel d’un inconnu et ne nous est parvenue que parce que son ami Montaigne l’a rendue célèbre. Car elle concerne de nos jours toutes les populations du monde, alors que le chaos et le totalitarisme ne cessent de se répandre. Car il est peut-être encore temps de prendre le contrôle de technologies dont l’impact ne s’explique sans doute que par le manque d’imagination qui nous empêche de les maîtriser et d’encadrer les initiatives de ceux qui les mettent en œuvre. Il est également temps de nous libérer des servitudes imposées par les médias, les réseaux sociaux et le politiquement correct pour échapper à la paresse intellectuelle, réapprendre à penser par nous-mêmes et dialoguer avec les autres dans un climat de compréhension et de bienveillance.
« Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres ! »
Armand Braun