L’auteur de l’article vit en Californie. Il s’est récemment acheté un smartphone et nous rapporte son expérience.
Quelques jours après, une conseillère de la marque est venue chez moi pour me former pendant une demi-heure au fonctionnement de ma petite machine. Quand elle s’est rendu compte de mon incompétence, elle a bredouillé « comment est-ce possible ? ». L’idée même qu’un être humain puisse exister sans l’assistance d’un appareil électronique l’effrayait. Puis sa peur s’est transformée en curiosité anthropologique.
C’est ensuite que les problèmes ont commencé. Je suis parti en voyage. Un fonctionnaire espagnol a refusé de prendre en considération mon pass vaccinal sur papier et a exigé de le scanner sur l’écran de mon smartphone. Sans prévenir, nos sociétés ont enchaîné nos existences aux médias électroniques et qui ne dispose pas d’un smartphone est exclu de la vie de tous les jours.
Ce qui nous différencie des générations suivantes, nous les personnes âgées qui sommes les enfants des Lumières, c’est que nous cherchons à identifier les questions de fond, alors que les plus jeunes se sont installés dans un monde virtuel et ludique. Ils ne se prennent pas au sérieux, vivent dans les mythes. Au lieu de s’intéresser à l’avenir, ils investissent leurs compétences et les choix qui s’offrent à eux dans le court terme. Ils sont prêts pour une vie de science-fiction, quelle qu’elle soit, quelles qu’en soient les conséquences.
Illustration personnelle : en Norvège, où nous étions en vacances, on ne trouve de journal papier que local. La presse internationale n’y est accessible que sur Internet. Quand nous avons essayé d’acheter un journal français en papier, notre interlocuteur nous a toisés : « you mean physical ? »
Hans Ulrich Gumbrecht, professeur émérite à l’université Stanford (USA) et à l’université hébraïque à Jérusalem (Israel) – Neue Zürcher Zeitung – 12 novembre 2021