À la prison d’Arles, une des six Centrales de France où sont enfermés des condamnés à de longues ou très longues peines et/ou considérés comme ayant peu de chances de réinsertion sociale, se déroule une expérience inédite menée depuis 2013 par deux metteurs en scène de théâtre, Joël Pommerat et Caroline Guiela Nguyen.
Leurs ateliers théâtre ont déjà donné lieu à plusieurs spectacles, notamment un remarquable Marius adapté par Pommerat de la pièce de Marcel Pagnol, montré pour quelques représentations publiques à la prison des Baumettes, à Marseille, en octobre 2019.
Cette fois ce ne sera non une pièce de théâtre mais un film. Un véritable petit studio de cinéma a été installé dans le gymnase et y accueille l’équipe de tournage d’un film, dont six apprentis comédiens, des détenus d’âges et de parcours divers, nommés ou surnommés Pascal Chazel, Anthony Coste, Cédric Luste, Nino, Jean Ruimi et Michel W.
Le scénario de Caroline Guiela Nguyen est une fiction nourrie du réel. Au fil des ateliers et des improvisations, elle s’est rendu compte que la question du temps était au cœur de la condition des prisonniers. « Le temps est pour eux comme figé, tandis qu’au dehors il se déroule sans eux. » Elle a donc imaginé un conte fantastique. En 2021, une vague énorme a recouvert la planète, faisant disparaître la moitié de l’humanité. En 2060, les disparus reviennent et ils ont le même âge que lorsqu’ils sont partis, alors que les autres ont continué à vieillir. L’équipe espère qu’il sera prêt en 2021 et présenté dans divers festivals.
Faire entrer des personnes extérieures et du matériel dans univers carcéral n’est pas évident. Mais, comme sa prédécesseure Christine Charbonnier qui est à l’origine du projet, la directrice de la centrale, Corinne Puglierini a pu observer ses effets bénéfiques : « Le fait de travailler en groupe, le discipline que demande l’apprentissage des textes, l’habitude prise de lire, de se cultiver, tout cela amène un apaisement, une écoute, une meilleure gestion des émotions, une image de soi revalorisée. »
À la fin de la journée, les murs de la prison semblent avoir été repoussés dans un ailleurs lointain. De même que l’herbe finit par repousser entre les pavés, de même l’humanité peut réapparaître chez les pires des criminels.
Fabienne Darge – Le Monde – 4 septembre 2020