La maladie du papier, c’est le titre d’une nouvelle de l’écrivain finlandais Eero Tolvanen. Un soir, le héros rentre chez lui à pied. Une odeur étrange flotte dans les rues. Il se couche et s’endort. A son réveil, il s’aperçoit que sa bibliothèque ne contient plus que des cendres. Dans son portefeuille, les billets de banque ont disparu ainsi que tous les documents sur son bureau. Il se rend compte que ce mal mystérieux frappe tout le pays. Même la nourriture est menacée : non seulement on ne peut plus l’acheter, mais les emballages papier n’existent plus. C’est bientôt la panique, la guerre civile… 

Eero Tolvanen écrivait dans les années 1950. Les solutions qu’il imaginait étaient le métal, le tableau noir et la craie, la communication orale… Aujourd’hui c’est le numérique qui relègue le papier au deuxième rang, voire l’écarte définitivement. Les démarches, y compris les signatures, se font électroniquement. Ces nouvelles pratiques plongent toute une fraction de la population, pas forcément analphabète, dans l’enfer de l’illectronisme, un phénomène dont on estime qu’il touche, rien qu’en France, environ 17% de la population.

Mieux vaut former des gens aux nouvelles pratiques que de revenir à une situation antérieure qui n’a pas que des avantages. A la fin de l’œuvre de fiction dont il est ici question, un inventeur a trouvé le remède, du papier imputrescible ; et tout est bien qui finit bien… apparemment. « La maladie du papier nous a-t-elle enseigné quelque chose ? », se demande l’auteur. « Non, nous voilà de nouveau noyés sous le papier. » 

Le papier devient une matière première de plus en plus rare parce que le bois souffre du climat. Paradoxalement, à cause de la crise de l’énergie, le papier recyclé se met à coûter encore plus cher que le papier initial. Le numérique permet de gagner énormément de temps et de place. Faut-il se réjouir de cette nouvelle maladie du papier ? Ce grand remplacement n’a pas que des effets bénéfiques. Un cours noté sur un ordinateur portable ne se mémorise pas aussi bien que l’écoute avec prise de notes écrites qui incitent à retenir les concepts essentiels. Il est pratique de voyager avec des centaines d’œuvres de fiction sur une seule tablette, mais seulement pour des livres légers qu’on parcourt pour s’amuser ; pas pour des textes d’idées sur lesquels il faut réfléchir ou des œuvres littéraires qui permettent de déployer son imagination. Des études scientifiques ont mis en évidence le rétrécissement de l’hippocampe, cette partie du cerveau qui joue un rôle central dans la mémoire et l’orientation spatiale, chez les chauffeurs de taxi qui ne roulent plus qu’en se conformant aux instructions de leur GPS. 

Pour beaucoup de personnes, pas forcément illectroniques, le quotidien qu’on feuillette a encore ses charmes. Francis Laffon chante un éloge à son « Quoquotidien » : « Pour jeter l’encre, il est trop tôt ». Un jour, nous cherchons vainement un journal papier en anglais ou allemand dans une ville de Norvège. Dans les boutiques et kiosques on ne trouve que la presse en sensation en norvégien. Un libraire nous indique que notre bonheur se trouvera peut-être à la bibliothèque municipale. Nous nous y rendons. Nous n’oublierons jamais le visage éberlué du jeune homme à l’accueil s’exclamant : « You mean physical ? ». 

Hélène Braun

« La maladie du papier » est parue en français en 1955 chez Gallimard dans le recueil « 54 petits chefs-d’œuvre ». Une édition séparée de la nouvelle, illustrée par Sempé, fut réalisée en 1964 pour le compte des papeteries De Ruysscher. Elle a été rééditée en 2014 par les éditions Martine Gossiaux à Paris. 

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