Ces jours-ci, beaucoup d’entre nous font l’expérience d’un phénomène singulier. À la boulangerie du coin, au café d’à côté, à l’école des enfants, parfois même au travail apparaissent des visages étranges. Tous ces gens que nous n’avions jamais vus en entier ont enlevé leur masque, tout simplement, et si nous ne les connaissions pas avant nous découvrons des bas de visage jusque-là inconnus. Or ils sont différents de ceux que nous nous figurions. « Il s’agit sans doute d’un mécanisme de complétion », explique Sylvie Chokron, neuropsychologue à la Fondation ophtalmologique Rothschild. « Lorsqu’on doit reconnaître quelque chose dont on n’a qu’une partie, le cerveau complète avec des a priori. Dans ce cas, il compose un bas de visage en fonction de la partie haute, mais aussi en fonction de la voix, de la personnalité, de nos sentiments envers cette personne. On se construit une représentation, un peu comme on le ferait en lisant un roman. »

Et nous sommes souvent décontenancés, car les visages que nous découvrons ne correspondent pas à la richesse de notre fiction intérieure. C’est ainsi que des aveugles à qui on a rendu la vue sont souvent déçus par les objets, les visages, les paysages : ils trouvaient le monde beaucoup plus beau dans leur imagination.

Heureusement, une fois passé le choc, nous nous habituerons à ces nouveaux visages.

Clara Georges – Le Monde – 27 mars 2022

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