Les chanteurs d’opéra craignent les refroidissements pour leur précieux instrument : leurs cordes vocales. Le réchauffement climatique, lui, exerce toutes sortes d’effets bizarres sur ces autres artistes lyriques que sont les animaux. Beaucoup s’épuisent à hausser le ton. Certains sont carrément réduits au silence. Tous ont désormais beaucoup plus de mal à trouver des partenaires, éviter des prédateurs, s’orienter…

Les grenouilles mâles coassent pour défendre leur territoire et séduire les femelles. Au milieu des années 1980, l’éthologiste Peter Narins (UCLA) remarqua que le coassement à deux notes des grenouilles mâles de la Sierra de Luquillo, dans l’île de Porto Rico, variait en fonction de l’altitude. Les petites grenouilles vivant au pied de la montagne poussaient des petits cris rapides et grinçants. Et plus on montait, plus les grenouilles grossissaient, plus leur voix se faisait grave et leurs coassements lents et longs.

En 2006, le Dr Narins retourna sur place. Il ne trouva plus que des petites grenouilles aux coassements aigus. Les grenouilles de la vallée étaient-elles montées en quête de fraîcheur ? Les grenouilles de la montagne avaient-t-elles rétréci ? Ce qui est sûr, c’est que, d’ici la fin de notre siècle, les demoiselles grenouilles risquent de ne plus entendre leurs princes charmants.

Les crevettes-pistolets sont parmi les animaux les plus bruyant de l’océan. Elles ont une grosse pince, un peu comme les homards. Elles la font claquer ; cela produit une bulle qui implose violemment, émet un intense flash lumineux, un jet d’eau qui se propage à plus de 30 m par seconde, et un bruit de détonation pouvant atteindre 220 décibels. C’est un moyen de communication entre crevettes et surtout une arme pour étourdir prédateurs et proies.

Mais la montée du dioxyde de carbone acidifie les eaux : les crevettes restent en bonne santé, mais leur habitat de coraux et forêt d’algue diminue ; et puis les coups de pistolets s’espacent, sont moins vigoureux. « C’est nerveux », remarque le biologiste marin de l’université d’Adélaïde, Ivan Nagelkerken, « ce n’est pas qu’elles ne peuvent plus, c’est qu’elles ne veulent plus ».

Le chant des baleines tout autour de la planète baisse de plusieurs tons. Pourquoi ? Mystère. Les interdictions de pêcher les cétacées ont sans doute augmenté leur nombre. D’autre part, dans des eaux plus acides, le son se propage plus loin.  Bref, plus besoin pour les baleines de hurler pour se faire entendre.

L’augmentation des intempéries perturbe la voix des oiseaux. Celle des chouettes hulottes dont l’appel est entendu soixante-dix fois moins loin sous la pluie. Celle des manchots qui, se ressemblant tous, ne se distinguent entre eux – époux, parents et enfants – que grâce à leur voix ; par mauvais temps, ils ajoutent des strophes à leurs chants, mais les hurlements du vent les empêchent de se comprendre…

Emily Anthes – International New York Times – 22 avril 2020

Écoutez les grenouilles avec Steve Waring :
https://mail.google.com/mail/u/0/?pli=1#inbox/FMfcgxwHNCqVzVJWcnhjPdFlwbHGxSNq?projector=1

Écoutez les crevettes-pistolets avec des chercheurs hollandais :
https://www.youtube.com/watch?v=ONQlTMUYCW4

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