Inga arrive au volant de sa petite voiture, Karsten en vélo électrique. Elle a apporté le café, une petite table, un gâteau maison, lui le schnaps, un bouquet de fleurs et deux chaises pliantes.

Inga est danoise. Traiteur à la retraite, elle a 85 ans.

Karsten est allemand. Il a 89 ans et a été agriculteur.

L’un et l’autre ont été mariés et heureux plus de soixante ans. L’un et l’autre sont veufs. Ni l’un ni l’autre ne pensait refaire sa vie.

Et puis ils se sont rencontrés en achetant des fraises sur un marché et sont tombés amoureux.

Ils habitaient de part et d’autre de la frontière, à un quart d’heure de route l’un de l’autre. Inga était en visite chez Karsten pour le week-end lorsque fut décrété le confinement. Elle rentra précipitamment chez elle.

Sur un chemin de terre qui serpente entre leurs deux villages, à mi-chemin entre leurs deux maisons, la frontière n’est matérialisée que par une barrière en plastique souple.

C’est là qu’ils se retrouvent tous les après-midis pour un pique-nique à distance raisonnable, de part et d’autre de la table posée à cheval sur la frontière

Au début du XXe siècle, la frontière était bien plus au nord. Le 14 mars 1920, les Allemands de cette région tout au nord du pays votèrent pour rejoindre le Danemark. La frontière se déplaça au sud. Il en reste, comme un souvenir, une pierre dans un buisson. En 2001, cette frontière s’estompa puisque le Danemark rejoignait l’Union européenne. Retour de la frontière le 14 mars 2020, exactement 100 ans après le plébiscite !

À trois heures de l’après-midi, avant le couvre-feu, Inga et Karsten se séparent et se donnent rendez-vous pour le lendemain.

Patrick Kingsley – International New York Times – 24 avril 2020

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