La profonde incertitude qui gagne le monde, dont le Covid est la cause la plus apparente mais sans doute pas la seule, nous enseigne des données qu’auparavant nous n’aurions jamais envisagées. Voilà de quoi notamment nous sommes témoins :

. N’importe quelle économie, fût-elle la plus puissante, peut s’effondrer en l’espace de quelques jours :  l’extrême pauvreté et la famine, que nous pensions à peu près éradiquées, reviennent en force et atteignent des centaines de millions de personnes ; même aux Etats-Unis, les files devant les soupes populaires deviennent aussi longue que pendant la crise de 1929.

. Il n’y a plus d’ailleurs. La distinction entre l’intérieur et l’extérieur des pays perd son sens. Le Covid ne connait aucune frontière.

. Les circonstances interdisent de fait toute réforme structurelle, toute prise en compte, hormis les discours, de l’avenir. Combien il se révèle dérisoire, le prétendu souci des générations suivantes ! Simultanément, certains aspects de la transition écologique s’affirment avec une incroyable rapidité, entre autres la généralisation (actuellement en Californie) de la voiture électrique.
Une image symbolise l’étrange conjonction entre l’explosion de la dépense publique et la raréfaction des ressources : des ponts de Londres interdits à la circulation car susceptibles de s’effondrer d’un instant à l’autre, faute de ressources pour les indispensables réparations.

Cette liste est sans doute incomplète. Il faut aussi avoir en tête les phénomènes qui se précisent dans le monde : les menaces écologiques (réchauffement, réduction de la biodiversité…), la tension migratoire exercée sur l’Europe par les populations de l’Afrique et du Moyen-Orient, la poursuite de l’augmentation de la dette des pays riches. Ces mouvements nous échappent largement, sont interactifs et annonciateurs de catastrophes possibles. Ils expliquent le durcissement des relations entre nations et entre milieux au sein de chaque nation, qui place l’humanité une fois de plus au bord de la guerre.

Nous en avons connu d’autres… Pour ne me référer qu’au XXe siècle, j’évoquerai la Première guerre mondiale, les années difficiles entre la crise de 1929 et la Seconde guerre, les totalitarismes, la Seconde guerre elle-même. Puis les choses se sont un peu calmées à partir des années 1950 et 1960, qui ont été celles de la construction de l’Union européenne et façonnent encore la pensée et les comportements de nos contemporains, y compris les plus jeunes.

S’il est un phénomène qui devrait avant tous les autres se situer désormais au cœur de nos réflexions, il y a celui-ci : jusqu’ici, les crises étaient prises en charge par les États et la population invitée à se conformer. La crise du Covid est peut-être la dernière illustration de cette pratique : en regard des dérives évoquées plus haut, le leadership de l’État ne peut plus s’exercer avec la même puissance et la même autorité. C’est un vrai souci dans la mesure où, dans la crise, l’État est le seul acteur indiscutablement légitime et le garant de la solidarité nationale. Mais, dans le paysage nouveau qui se révèle, la responsabilité ne se situe-t-elle pas autant au niveau de chaque personne qu’à celui de l’État ? L’affaiblissement du pouvoir conceptuel et pratique des institutions peut encourager beaucoup de personnes à s’écarter du conformisme qui était la règle dans les temps difficiles et à se charger elles-mêmes de l’avenir de leurs familles.

Souvenons-nous tout de même que rien n’est jamais prédéterminé. Les phénomènes vertueux, si essentiels, qui se sont développés au cours des décennies d’après la Deuxième guerre mondiale et que personne alors n’aurait cru possibles – élévation des niveaux de vie et d’éducation, progrès scientifique et technique… – comptent pour zéro ou sont discrédités par des observateurs sans mémoire. Et les nouvelles qui nous parviennent peuvent aussi être positives : ainsi, le déclin démographique partout engagé peut-il atténuer la pression que l’augmentation continue de la population mondiale exerçait sur nous tous ; ainsi, si le Covid dédaigne les frontières nationales, s’efface-t-il devant les collectivités locales décidées à le combattre.

L’humanité se retrouve une fois de plus devant l’une de ces situations qui mettent en cause non seulement son existence continuée mais aussi les valeurs de civilisation. Je voudrais évoquer ici la détermination à rester libre de la population britannique lorsque, en 1940, les troupes nazies se préparaient à envahir la Grande-Bretagne.

Armand Braun

Print Friendly, PDF & Email