Début mai, la frontière était fermée depuis deux mois entre l’Argentine et le Brésil lorsqu’arriva au checkpoint de Puerto Iguazú un étrange convoi de quinze véhicules. Dans l’immense camion de queue, une éléphante.
C’était Mara, une éléphante d’Asie âgée de 50 ans. Elle quittait le zoo de Buenos-Aires où elle venait de passer vingt-cinq ans dans de très mauvaises conditions. Elle y séjournait avec deux autres éléphants dans un enclos – construit en forme de temple hindou ! – beaucoup trop étroit pour trois. Circonstance aggravante, les deux autres étaient des éléphants d’Afrique, avec lesquels elle ne s’entendait pas du tout. Elle restait le plus souvent immobile, alors que les éléphants ont besoin de beaucoup marcher et sont des animaux essentiellement sociables. Mara passait des heures à balancer la tête, signe de stress manifeste.
Un puissant mouvement d’opinion à Buenos Aires dénonçait depuis quelques années la façon dont les animaux de ce zoo étaient enfermés sur une surface beaucoup trop petite. La Ville décida de reprendre le zoo à la société privée qui le gérait et d’en transformer radicalement le concept : il deviendrait un écoparc pédagogique et les animaux seraient confiés à divers sanctuaires. Au printemps, 860 animaux sauvages avaient trouvé un nouveau refuge. Mara devait être le 861ème, en partance pour un sanctuaire d’éléphants au Brésil.
Dans le cadre de la lutte contre le braconnage d’espèces menacées, il avait fallu auparavant mener une enquête pour reconstituer sa vie. Elle était née en captivité en Inde, vendue, avec deux autres éléphanteaux, à un zoo de Hambourg, puis était passée de cirque en cirque. Quand le zoo de Buenos Aires l’avait acquise, on l’avait trouvée enchaînée dans un parking.
Une fois obtenues les autorisations impliquant deux États et de multiples ministères, la Covid-19 avait commencé ! Thomas Sciolla, le responsable en charge à la Ville, réussit à convaincre les autorités concernées de part et d’autre. Et c’est ainsi que, malgré la fermeture de la frontière, Mara arriva enfin à destination.
Dès son arrivée, elle se lia avec une autre éléphante d’Asie du même âge, Rana. Une amitié tellement spontanée et intense qu’on se demande si elles ne se connaissaient pas enfants et si Rana n’avait pas été l’un des trois éléphanteaux du zoo de Hambourg.
Brooke Jarvis – International New York Times – 13 août 2020