Une entreprise pharmaceutique suisse décide d’arrêter un projet de recherche. Cette décision semble mécontenter quelqu’un. Il le fait savoir par une lettre anonyme où il menace, en cas d’abandon de cette recherche, de divulguer des secrets de l’entreprise. Comment identifier le corbeau ? Il n’a évidemment laissé ni empreintes digitales, ni ADN sur sa missive. Pourtant, des indications utiles y figurent : le style d’écriture est aussi personnel que des empreintes digitales. Et l’on peut se trahir rien que dans la façon de s’exprimer. C’est de cela que s’occupe la branche linguistique de la police scientifique. Le même auteur a répété sa menace dans deux mails. En relisant les textes plusieurs dizaines de fois, l’enquêteur trouve d’autres pistes. Par exemple, l’auteur anonyme utilise des formules telles que « nous n’avalerons cette couleuvre ». Il écrit que la décision de la société est « incompréhensible », « absurde », « contraire à toute logique ». Ceci reflète un bon niveau intellectuel et disculpe le collaborateur soupçonné au départ. L’entreprise désigne alors deux autres suspects en conflit entre eux. La lettre stipule : « vous pouvez revenir sur votre décision à l’occasion de la prochaine réunion ». L’analyse de tous ces éléments a désigné une personne et une seule.
La même démarche peut s’appliquer à l’expression verbale. Un coup de fil anonyme, dans un allemand hésitant, informe la police de l’agression d’une personne âgée à son domicile, dont il précise l’adresse. Il indique que la victime baigne dans son sang et demande qu’on envoie une ambulance. Les policiers trouvent effectivement la victime, qui décède à l’hôpital deux jours après sans avoir retrouvé la parole. Une enquête est diligentée pour vol et assassinat, dirigée contre le correspondant téléphonique. Une experte en phonétique analyse sa voix et sa manière de s’exprimer. En allemand, il y a des dialectes régionaux. Si la personne est née à l’étranger, on peut, d’après son accent, ses fautes et ses tournures de phrases, deviner sa langue d’origine ; évaluer depuis combien de temps cette personne vit en Allemagne, dans quelle région il a appris l’allemand, et comment : dans la vie quotidienne ou, en prenant des leçons auquel cas il s’exprimera dans un meilleur niveau de langue. 

Piotr Heller – Neue Zürcher Zeitung – 16 novembre 2022
Crédit Photo: Stock Unlimited

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