Pour de nombreuses raisons, toutes plus ou moins liées à la préparation de cette mutation technologique que représente le passage de l’essence à l’électrique, l’industrie automobile allemande s’apprête à licencier 100 000 personnes. Des décisions de même nature sont inévitables en France, et certainement dans bien d’autres pays. Elles sont approuvées par les opinions publiques, applaudies par les militants écologistes.
Les victimes sont résignées. De toute façon leur point de vue n’est pas pris en considération. Ce sont d’abord les salariés qui vont perdre leur emploi et dont nous imaginons bien qu’en cette nouvelle année ils se demandent, avec leurs familles, ce qui va leur arriver. Et aussi tous ceux dont l’emploi est lié à l’industrie automobile (et qui ne sont sans doute pas comptés dans les 100 000 futurs licenciés). Et enfin l’ensemble des territoires où sont actuellement implantées les entreprises automobiles. Évoquons à titre d’exemple la région de Bade-Wurtemberg, juste en face de l’Alsace et qui emploie entre autres de nombreux frontaliers français. On apaise leur inquiétude en attirant leur attention sur la pénurie de main d’œuvre qualifiée en Allemagne…
Considérable, cet enjeu n’est pourtant qu’un aspect d’un autre, plus vaste encore. Plus personne ne discute l’urgence et la gravité des menaces environnementales. Et les mesures à prendre font l’objet d’un relatif consensus mondial. Mais nombreux sont les problèmes qui se posent.
Quel avenir nous réserve la mise en œuvre de ces mesures ? Par exemple, quel sera leur impact sur la création de richesses, ces richesses qui nous ont permis d’accéder au niveau de protection sociale que nous avons atteint en Europe ? Sur l’objectif national et mondial de réduction des inégalités ? Sur le déséquilibre croissant entre nos nations européennes si bien intentionnées et la stratégie mondiale de la Chine, qui s’en amuse ? Sur les économies des pays pauvres ? Sur les relations internationales et l’ouverture du monde, lorsque l’aviation commerciale, désormais réprouvée, va peut-être disparaître ? Sur les échanges, qui depuis très longtemps ont permis ce qu’il est devenu incorrect de nommer « prospérité » ? Sur la manière de rendre compatibles les comportements immédiats et les projets d’avenir, le court et le long terme ? Et sur la façon dont les jeunes vont désormais envisager (ou pas) leur futur ?
Qui sera en charge de conduire cette formidable transition ? Les institutions publiques nationales et internationales en ont en principe la responsabilité, elles affirment que le leadership leur appartient, que tous les autres (les entreprises, les gens…) doivent se conformer à leurs directives. Ce faisant, elles affectent d’ignorer les raisons pour lesquelles leur capacité d’action est limitée : les institutions internationales (OCDE…) ne peuvent qu’émettre des recommandations ; les États, pour la plupart endettés au-delà de tout bon sens, hésitent à entamer leur crédibilité en engageant les mesures massives qui leur sont réclamées. La valse-hésitation à laquelle donnent lieu les COP successives en est une illustration.
Surtout, comment, dans ces conditions, imaginer le paysage des prochaines années ? Ce n’est pas un hasard si cette question n’est jamais évoquée. Les ressorts archaïques de la démagogie, de la peur, de l’égoïsme reviennent partout avec force. Les événements qui, il n’y a pas si longtemps, ont résulté de ce type de désarroi – 1917, 1933… – sont singulièrement déplaisants. Et si les pouvoirs publics, appuyés momentanément par les opinions publiques, veulent passer en force, nous connaîtrons de nouveau le totalitarisme apparemment doucereux, instauré au nom des meilleures intentions, que l’on observe déjà ici et là.
En ce début d’année, notant au passage cette actualité de la lutte éternelle entre le bien et le mal, nous émettons ce vœu : que nous retrouvions une foi collective en l’avenir que seule peut nous apporter un renouveau de la pensée personnelle, ce don négligé de l’espèce humaine. Se trouvera-t-il des hommes de bonne volonté capables de défendre et illustrer l’optimisme dont nous manquons ?