De fin juin à fin octobre, le philosophe Gaspard Koenig est parti à cheval sur les routes d’Europe. Ce faisant, il a à peine suivi l’actualité, n’apprenant que ce que lui en disaient ses hôtes d’un soir. De retour à la vie urbaine, il ne supporte plus les sites d’infos.

« Mon cerveau se rebelle à la vue de tous ces titres décousus et criards. Je pense qu’une exposition à Twitter me conduirait à l’évanouissement. A-t-on vraiment besoin de toute cette information ? Il n’est sans doute pas inutile de connaître le nom du nouveau président des Etats-Unis, mais fallait-il perdre des dizaines d’heures à suivre et commenter le dépouillement ? Mieux vaut connaître ses voisins que les équipes de la Maison-Blanche.

N’a-t-on pas atteint le stade où l’accumulation exponentielle d’informations obère notre capacité d’analyse ? Imaginons un instant que les gens cessent de s’intéresser à ce qui ne les concerne pas immédiatement et personnellement. Certains phénomènes déplaisants disparaîtraient d’eux-mêmes, à commencer par le terrorisme, qui existe uniquement par son impact disproportionné dans l’opinion publique. A quoi bon égorger d’infortunés innocents si personne ne le sait ? Les théories du complot s’effondreraient faute d’appétit pour les complots. Le populisme électoral aurait bien davantage de difficultés à se frayer un chemin dans nos consciences ; les concepts grossiers et les théories simplistes sur la mondialisation ou la justice sociale ne passionneraient personne. Quant à la dangereuse polarisation des opinions, elle laisserait naturellement la place à la confrontation quotidienne des expériences. »

Gaspard Koenig – Les Echos – 18 novembre 2020

 

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