Les terribles épreuves que le système éducatif vient de traverser, avec, entre autres, la Covid et la nécessité du téléenseignement, ne seront pas sans conséquences durables pour la capacité cognitive, le développement psychosocial, la conscience de leur propre corps des enfants et des jeunes. On observe déjà les signes inquiétants d’une baisse de niveau. La digitalisation de l’éducation déshumanise non seulement l’école mais la société.  De plus en plus d’enfants ont du mal à apprendre. Il y a un lien entre le niveau d’éducation, les aptitudes professionnelles et la relation à la démocratie. Si un facteur s’effondre, les autres suivront. Les enfants issus de milieux modestes sont plus fortement atteints et l’égalité entre les enfants diminue encore.

De grands efforts sont accomplis pour en revenir à de meilleurs équilibres, mais est-ce bien là l’objectif à poursuivre ? Peut-être ne s’agit-il pas de revenir au statu quo ante mais de comprendre que s’en écarter devient un impératif majeur. 

S’en écarter, mais pourquoi, comment, dans quelle perspective ? Ne nous contentons pas de parler de réforme. Essayons d’aller au fond, d’envisager la question dans le cadre de la réalité telle qu’elle devient et telle qu’elle peut suggérer d’autres idées. 

Le point de départ pourrait être le suivant : un enfant de huit ans, un jeune de quinze ans, ont en principe devant eux soixante-dix, quatre-vingt ou plus d’années de vie. C’est pour ce long parcours dans un univers non seulement inconnu mais désormais inconcevable qu’il faut les préparer. Que leur enseigner, comment le leur enseigner ? Ce n’est pas à moi, qui ne suis pas éducateur, de le dire.  

Par contre, n’y aurait-il pas lieu de réfléchir à ce que pourrait signifier un changement d’attitude que j’exprimerai comme suit : toujours « agir pour » mais aussi s’exercer à « agir avec ». C’est-à-dire concerter avec chaque enfant et individualiser les parcours pédagogiques dans cette perspective de long terme qui, contrairement aux idées reçues, est vraiment nouvelle. Dans chaque enfant, dans chaque jeune, aller à la rencontre de cette dimension adulte qui n’existe en lui que virtuellement. Ne négliger personne, donner à tous la confiance en soi-même et dans le monde. 

Je n’ai évidemment pas d’arguments pour justifier cette approche.  Mais le passé fournit des exemples, rares et pourtant nombreux, d’enfants et de jeunes. Je me contenterai ici d’un exemple, celui de Jean-François Champollion (1790-1832). Dans des circonstances que j’ignore, celui-ci s’était passionné dans son enfance pour l’histoire de l’Égypte ancienne. Il avait lu que les hiéroglyphes n’étaient pas déchiffrés, qu’ils ne le seraient peut-être jamais.  À l’âge de 16 ans, il a déclaré à ses parents : « Je vais faire de cette antique civilisation une étude approfondie et continuelle ». On sait la suite…

Ce précédent, avec ses innombrables limitations, est pourtant un message pour l’avenir : le potentiel créatif des enfants et des jeunes peut se révéler sous des formes incomparablement plus nombreuses qu’à l’époque de Champollion, et des formes à la portée de tous. Laissons de côté la pensée courante, allons au-devant de ce qui devient possible, changeons de regard.  

Armand Braun

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