Ayant mis dans des caisses tout ce que contenait notre maison en vue d’un déménagement, nous avons décidé de réduire le nombre des objets que nous allions garder. Mais, autant il est facile de diminuer sa garde-robe ou sa vaisselle, autant il est difficile d’éclaircir sa bibliothèque. Pourquoi ?
Certes, l’alignement de dos de livres est décoratif en soi. Mais quid du contenu ? Parlons du contenu.
Un ami a eu le bonheur de passer à ses enfants les livres de sa jeunesse précieusement conservés et se réjouit à l’idée qu’un jour ils liront et aimeront comme lui ses livres d’adulte. Mais il est peut-être une exception.
On ne sait jamais, se dit-on, quand on voudra relire un livre ou le donner à quelqu’un qu’il intéresserait. C’est comme une réserve à notre mémoire forcément limitée. Mais reconnaissons-le, quand on feuillette des pages et des pages en quête d’un passage à moitié oublié, on finit la plupart du temps par rechercher et trouver l’information sur Internet.
La formule « cela peut servir un jour » est une excuse pour accumuler tout et n’importe quoi. Conservons-nous par exemple les équipements pour un sport que nous ne pratiquons plus ? Mieux vaut racheter certains objets que crouler sous le poids de vieilles choses.
Finalement, je soupçonne que la principale raison d’avoir une maison pleine de livres est de montrer discrètement aux autres combien nous sommes instruits – notamment en Grande-Bretagne où il n’est pas de bon ton de se vanter.
Prenons l’exemple des guides de voyage. Ils sont tout de suite dépassés. Pourtant nous les gardons comme un souvenir de tous les endroits que nous avons visités, comme un témoignage d’une vie aventureuse. De même, les autres livres sont peut-être les souvenirs de nos voyages dans l’apprentissage et l’imagination, un encouragement à nous reposer sur nos lauriers au lieu d’aller de l’avant. Ce ne sont là que symboles sans substance de notre identité.
Relire, certes. Mais au fur et à mesure que nous avançons en âge il est plus raisonnable de limiter notre pile des « à lire » que de la faire grandir. Alors je m’y suis résolu. Je me suis débarrassé de 500 livres excellents que je ne relirai certainement jamais. Je n’ai gardé que les classiques et ceux dont je suis sûr que je les relirai. Je me sens plus léger. Ma bibliothèque ne me cache plus ses livres. Ma maison est plus claire.
Et puis faire ainsi de l’ordre dans sa bibliothèque est une catharsis. C’est admettre que tout a une fin : un concert, un repas, de merveilleuses vacances… La bonne manière d’apprécier les bonnes choses c’est d’accepter qu’elles soient passagères.
Julian Baggini – The Financial Times – 12 septembre 2021
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