Une idée reçue court le monde : il faut former les enfants au codage et commencer dès le plus jeune âge. Ainsi, lorsqu’ils seront adultes, ils échapperont au chômage, pourront réussir leur vie en devenant par exemple d’excellents ingénieurs.

Cette idée est aussi désormais fortement ancrée en France. L’impératif de la préparation au monde numérique a ses temples, notamment l’École 42 qui essaime à travers tout le pays, ses prêtres (les start-up) et ses missionnaires (les grandes écoles d’ingénieurs). Tout cela est bel et bon et nous espérons ne pas faire changer d’avis ceux de nos lecteurs et lectrices qui adhèrent déjà à cette nouvelle religion. À tous ces sachants, nous allons présenter une humble requête et pour la justifier leur raconter une histoire vraie.

L’action se situe en Inde actuellement et elle met en scène une petite fille de cinq ans, Vaidehi, qui habite dans un village à proximité de Lucknow, dans le nord du pays. On nous dira que Vaidehi est un phénomène : elle raconte des histoires tirées de son imagination sur Youtube depuis qu’elle a trois ans, elle parle à la vache Chanda et au veau Rambo, elle aime se rouler dans la boue et courir sous la pluie. Ses parents se sont fait gronder par le directeur de son école : « Vous devriez mieux surveiller les devoirs de vos enfants : Vaidehi a dessiné une girafe multicolore ! »

Cette histoire illustre un thème refoulé, rejeté par la pensée correcte, sauf par les neurologues : l’éducation est un phénomène complexe, multiforme, aléatoire et individuel ; son influence sur la personnalité de chacun est décisive, ses effets sont imprévisibles. Les découvertes les plus récentes attestent l’incroyable plasticité du cerveau humain et sa phénoménale capacité d’apprentissage dans les premières années de la vie. Privilégier une seule approche risque d’exercer l’effet d’une amputation sur l’éveil des jeunes intelligences. Une éducation qui ne se spécialise pas et met l’enfant en contact avec une réalité multiple leur permettra de développer plus tard leurs talents d’élection.

« Et pourquoi pas une girafe multicolore ? » a protesté le père de Vaideh, Neelesh Misra. N’ayant pas reçu de réponse satisfaisante, il a tout simplement changé sa fille d’école. Bien sûr, c’est la pandémie et là aussi, pour le moment, la classe se fait en ligne. Mais du moins peut-elle raconter ses histoires, chanter avec ses camarades de classe, apprendre un pas de danse en suivant l’instituteur sur l’écran, poser des questions…

Il paraît que l’avenir du monde peut reposer sur une pointe d’épingle…

 

Neeleh Misra – International New York Times – 2 janvier 2021
Prospective.fr

Print Friendly, PDF & Email