À qui, il y a un an à peine, aurait décrit ce qui se passe en ce moment, son entourage, toutes épaules levées, aurait dit : « tu blagues ! »

Nous vivons dans un monde de science-fiction. C’est un coup d’arrêt infligé à la Terre entière. L’investissement mondial est en chute libre. Chaque jour, la Grande Faucheuse fait sa récolte. L’ampleur grandissante des épreuves : éducation, professions, vie quotidienne, réseaux de transport, tourisme, hôtellerie-restauration, culture, sport et beaucoup d’autres. La progression de l’ensauvagement. Et n’oublions pas l’endettement, qui jour après jour affaiblit un peu plus la France.

Les initiatives de nos génies nationaux vont dans le même sens :  la Grande-Bretagne avec le Brexit et ses effets insensés sur les échanges internationaux, la France avec ce retour à l’économie administrée que symbolisent la résurrection de feu le Commissariat au Plan et l’extension à l’infini des territoires de la régulation.

Toute évolution sociétale est arrêtée. Il n’est plus question de modernisation, d’échanges, de compétitivité, alors même que cette crise met en lumière tant de blocages et de désuétudes. La notion de progrès est bannie. L’information et la communication font disparaître tout ce qui n’est pas la crise sanitaire. Comme si des écrans nous masquaient la réalité. Seules se poursuivent, imperturbables, les avancées scientifiques et technologiques, dans tous les domaines. Ce sont elles qui ont permis qu’un vaccin soit mis au point en un temps record. Elles illustrent aussi à quel point sont indissociables le génie individuel et la capacité de grandes organisations. Ainsi l’affaire de l’ARN messager, grâce auquel les premiers vaccins anti Covid-19 ont été créés : une personne, la chercheuse hongroise Katalin Kariko, une université (l’université de Pennsylvanie) et un puissant laboratoire pharmaceutique, BioNTech.

L’impact le plus redoutable de ce drame a trait à la vie des gens. Comment vivront-ils ce phénomène qui les atteint dans tous les aspects de leur vie et s’inscrira dans le contexte d’une crise économique qui n’en est qu’à ses débuts ? Avons-nous déjà oublié que la vie humaine, c’est la proximité, l’échange, le mouvement ? Comment s’étonner de la montée discrète d’un sentiment de terreur, aggravé par le fait que personne ne sait pour combien de temps nous en avons ?

Certains, inspirés par ce qui se passe en Chine, annoncent un redémarrage sur les chapeaux de roues et l’oubli instantané de nos épreuves. D’autres dessinent un paysage dévasté qu’il nous faudra des années pour reconstruire. L’avenir paraissant fermé et sombre, la nostalgie d’un passé imaginaire et enjolivé s’installe et d’inattendues perspectives s’offrent à la déraison.

L’essentiel, au-delà de tout, à mes yeux : l’identité humaine est en péril, réduite à la chance d’exister. Ce blocage de l’espoir exercera sur chacun de nous et sur nous tous, dans la durée, un impact que je ne trouve aucun mot pour qualifier. Toutes les activités qui relèvent du soin psychique sont prises d’assaut.

Si nous ne nous résignions pas à subir, il y aurait peut-être quelque chose à faire : en nous rappelant que la présente disruption sera suivie par d’autres, la crise climatique, la réduction de la biodiversité, nous servir de ce qui se passe comme d’un précédent dont nous pourrions tirer les leçons. Cette crise nous révèle que les institutions, quoiqu’elles affirment, n’en ont plus la capacité.

Tirer les leçons est l’affaire des individus. Chacun de nous doit retrouver à sa faible échelle ce qu’il y a de meilleur dans notre condition humaine. Chacun de nous doit être déterminé à trouver sa vérité personnelle. Là est la voie.

Armand Braun

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