À Liévin (Pas-de-Calais) a été inauguré il y a un an le Centre de conservation du Louvre, destiné à regrouper et préserver les 250 000 œuvres d’art qui dormaient jusqu’à présent dans les réserves de ce musée, le plus important du monde.

Le Centre de conservation est un immense bâtiment de 18 500 m², dont 9 600 m² pour les œuvres et le reste pour des chercheurs, scientifiques, archéologues, historiens de l’art… Sur place, quatorze spécialistes traitent les aspects logistiques, financiers, d’exploitation et de maintenance.  Tous les professionnels du Louvre  –  2000 agents et 300 scientifiques maison – participent de près ou de loin à l’aventure.

Le Centre abrite déjà 80 000 objets. En 2024, ils y seront tous, de l’humble tesson de poterie préhistorique jusqu’au grand chef d’œuvre de peinture et sculpture.

Le grand déménagement est en cours et mobilise de nombreux savoir-faire :  numérisation de chaque objet, fabrication de caisses spéciales réutilisables, application des normes de conservation préventive, appel à des sociétés de transport spécialisées disposant de semi-remorques de très grande capacité, banalisés, et conduits par des chauffeurs sensibilisés aux objets très fragiles. C’est ainsi qu’on a pu, par exemple, faire voyager de très grands tableaux des XVIIe et XVIIIe siècles français ou une antique baignoire en porphyre pesant quatre tonnes.

35 000 œuvres restent au Louvre, où elles sont exposées.

À l’évidence, voilà une initiative de grande ampleur et de haute pertinence. Mais, parce que, prospectivistes, nous nous intéressons à la fois au passé, au présent et à l’avenir, nous nous posons différentes questions.

La concentration des œuvres en un seul lieu n’est-elle pas un concept caduc ? Dans le monde tel qu’il devient, il suffirait probablement de quelques dizaines de terroristes pour tout ravager, de quelques bombes pour tout réduire en poussière. Les précédents sont nombreux et connus. La dernière fois, pendant la Seconde Guerre mondiale, que le Louvre lui-même a été en danger, les œuvres ont été dispersées et c’est ainsi qu’il a été possible de les sauver. Le fait d’avoir ouvert d’autres Louvres, à Lens et Abou Dhabi, va dans le bon sens.

Les considérations propres aux musées doivent-elles à ce point avoir le pas sur la diffusion de la culture ? Interdire des chefs d’œuvre à la vue des gens, même pour les meilleures des raisons, est inacceptable et injuste.

Imaginons que, depuis l’au-delà, les artistes qui ont créé tous ces chefs d’œuvre observent ce que nous en faisons. Ils étaient déjà indignés du long sommeil imposé à leurs œuvres dans les réserves, et voilà qu’on en rajoute ! Elles étaient en prison, mais le prisonnier espère toujours qu’un jour il redeviendra libre. Voilà qu’on les enferme à perpétuité. Combien d’artistes du passé, s’ils savaient, se demanderaient : « Est-ce pour cela que j’ai tant travaillé ? »

Eric Biétry-Rivierre – Le Figaro – 8 octobre 2020
Prospective.fr

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