La génération 2010 est victime de cyberharcèlement. Comment ne pas frémir au projet de Facebook de créer un Instagram pour les moins de 13 ans ? Au-delà même de la question du cyberharcèlement, je constate l’effet pervers de l’accoutumance aux réseaux sociaux lorsque j’enseigne à des étudiants « digital natives », de plus en plus dépourvus d’une faculté de concentration élémentaire (rester un livre à la main pendant une heure, sans like ni retweet, est devenu pour certains une impossibilité physiologique). Je ne peux que partager l’inquiétude du neuroscientifique Michel Desmurger face à la « fabrique du crétin digital ».
Il faut cesser d’infantiliser les adultes. Mais corollairement, arrêtons d’adultiser les enfants. Toute la philosophie de l’instruction publique par Victor Cousin est de permettre à un esprit en formation de s’ouvrir à un savoir éclectique. Pour que l’adulte devienne responsable, il faut que l’enfant reste sous tutelle. Autant l’Etat doit laisser les citoyens majeurs vivre leur vie, autant il a son rôle à jouer pour émanciper socialement et intellectuellement les mineurs, y compris par la contrainte. Voilà pourquoi, moi qui n’aime guère les interdits, je plaide sans hésiter pour la fermeture des réseaux sociaux aux moins de 16 ans.
On interdit bien la vente d’alcool aux mineurs. Seize ans, c’est l’âge où l’on peut entrer seul dans un bar. Il serait logique d’en faire le seuil légal pour pénétrer dans le grand tripot de la désinformation.
Il faut traiter les réseaux sociaux pour ce qu’ils sont : une drogue distribuée gratos à la sortie de l’école.
Ne pas être addict aux réseaux sociaux est un privilège. Selon un rapport du Haut Conseil de la santé publique, plus le niveau d’études des parents est élevé, plus le temps passé devant un écran par les enfants est faible. Rappelons que Steve Jobs bannissait l’iPad de son foyer. L’interdiction des réseaux sociaux aux moins de 16 ans serait une vraie mesure de justice sociale.
Gaspard Koenig – Les Echos – 23 septembre 2021