LE SANG NOIR

La flaque de sang noir a séché au soleil 

 Elle nappe de deuil ce qui était un homme 

Il ne saluera plus le jour à son lever

Il ne serrera plus dans ses bras son aimée

Épouse veuve et seule et noyée dans ses larmes

La guerre a pris son homme

Elle a volé sa vie

Les armes à la main

Il agitait un bras pour un joyeux salut

Et puis il s’est enfui pressé d’aller se battre

Et son dernier regard

Fut un adieu bâclé 

Puis il a disparu sans promesse de retour

Aujourd’hui elle crie

La cité est en ruines et son cœur incendié

On a tué son amour

Ses noirs voiles de veuve ondulent dans le vent

Comme les algues font au plus fort du jusant 

On a tué son homme

On a volé sa vie

La voilà seule et nue essorée de chagrin

Perdue comme une aveugle 

Sa main ne serre plus la main qui l’étreignait

Ils allaient enlacés dans l’éclat du soleil

Enchaînés l’un à l’autre pour un temps infini

C’était ne pas compter sur la folie des hommes

La guerre les égare et jette à l’abattoir

Le soleil sèche au sol leur sang devenu noir

La poussière alentour est un ciment poisseux

Qui cerne d’arabesques un cadavre grotesque

La guerre fait les veuves 

La guerre les déchire.

Jean Recoing

Print Friendly, PDF & Email